Interférences d’Emmanuèle Jawad par François Huglo

Les Parutions

22 sept.
2021

Interférences d’Emmanuèle Jawad par François Huglo

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Interférences d’Emmanuèle Jawad

            Contre l’illusion romanesque, il y a Jacques le fataliste. Contre l’illusion photographique, entretenue par la société du spectacle (pléonasme), société de contrôle et de surveillance (autres pléonasmes), il y a tout le travail textuel d’Emmanuèle Jawad. Les photos de presse, d’art, d’identité, d’archives, d’album de famille, de fichier de police ou de poste frontière, les radiographies médicales, le cinéma, la télé, ne sont pas le monde. Ce ne sont que des photos, qu’Emmanuèle Jawad réduit à leur dispositif technique, à l’invisible structure qui, entre le regard et l’objectif, multiplie les médiations qui se combinent à l’infini, ouvrant un espace libre à construire par découpages, trajets, agencements. Un espace particulier et neuf, qui ne cède pas non plus à l’illusion poétique !

            Médiations : intermédiaires. Deux des trois titres figurant sur « la table » comportent le préfixe inter : Les espaces intermédiaires, interférences de mouvements, aires. L’objet disparaît ou, du moins, n’est pas localisé. Comment s’orienter ? « littéralement plats l’édifice le visage les observations simultanées mettent hors d’usage nos capacité d’orientation ». L’algorithme joue entre hasard et prescription : « ces voies d’accès restent des obligations fortuites de navigation ». Tout est réglé, mais le sol se dérobe. « Dans les distances réglées comme des paysages distribués dans des distances réglées sur le tremblement des sols des bâtiments sur les avenues excentrées où se défont les sols à mesure plus ou moins réglementaires de l’air pulsé au niveau des blocs par moitié dans l’enfoncement des blocs ça reverdit on reconstruit sur la bande extérieure ». On pense à nos villes hyper connectées livrées aux éboulements et inondations. Le sujet apparaît à peine plus que l’objet. Lui-même objet, il est pris dans un réseau de regards : « On photographie l’appareil en train de filmer on la photographie qui regarde l’appareil en train de filmer très clairs d’avant comme observant avec fixité les épreuves se développent chromogènes (…) ».

            Là un « site d’enfouissement », ici une « zone d’exclusion » que « l’appareil survole », que « les appareils surveillent ». Des ellipses et contractions, dans les paragraphes généralement non ponctués, manifestent des tensions. Ce sont des failles, provoquées par des séismes. Des frictions entre géologie et urbanisme : « les centres se développent sur des axes concentriques à mesure que les sols se démantèlent. La mesure déplace les groupes. Ils se déplacent à mesure que de // nouveaux centres urbains s’installent. Les unités s’agencent sur les périphéries. (…) On met à profit les surfaces vacantes. Selon des // très aléatoires, les installations mesurent, d’une inégalité croissante ». Ce sont donc « les situations de conflit » qu’ « on visualise », avec « les possibilités d’extension ».

             Un recueil de Michel Valprémy avait pour titre Cadastre du clair-obscur, celui-ci pourrait s’appeler « Cadastre des catastrophes ». Il joue d’une analogie entre les mosaïques des parcelles, les plans et planches photographiques, les pages-paragraphes du livre. Le temps photographique est lui-même fragmenté : entre moment de la prise, qui combine un angle de vue, le découpage d’un plan, à une vitesse et à une exposition à la source lumineuse, déterminée par l’ouverture du diaphragme (« lieux vides la vitesse modifie l’ordre intérieur ») et moment du développement, comparable à une floraison : « des plantes très spéciales se développent elles s’ouvrent comme des fleurs l’angle facilite la rétention agit horizontal s’étend étire jusqu’au plan ». Toute une relativité ! La prise de vue est elle-même mobile (caméra) : « le déplacement s’opère par extraction haute des châssis », et par l’agrandissement « nous élargissons à mesure effectuant nos propres contours naviguons à vue », dans « un champ d’hypothèses », d’ « images modulables », de « vues collectives des manifestations » : toute « une restitution alternative des luttes ». Tout « un bruit de fond au ras des choses ». Ceci n’est pas une photographie.

 

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