Jacques Rigaut, le suicidé magnifique de Jean-Luc Bitton par Jacques Barbaut

Les Parutions

23 janv.
2020

Jacques Rigaut, le suicidé magnifique de Jean-Luc Bitton par Jacques Barbaut

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frère Jacques

« Vous êtes tous des poètes et moi je suis du côté de la mort. » (Pensées*)

 

Jacques Rigaut — « alias J. R., Jack Rigow, Coco-Folie, Lord Patchogue ou Rigo dit la Mort des Papillons » — est publié pour la première fois (« Propos amorphes ») dans la revue Action, n° 4, juillet 1920 (il a 21 ans), en compagnie d’André Malraux (« Mobilités », écrits farfelus) et de Max Jacob (« Ma vie en trois lignes », « Pour faire un délicieux poème en prose »…).

« Il n’y a au monde qu’une seule chose qui ne soit pas supportable : le sentiment de sa médiocrité. »

Le vendredi 13 mai 1921, salle des Sociétés savantes, rue Danton, au procès de Maurice Barrès mis en accusation par Dada « pour attentat à la sûreté de l’esprit », Breton, président autoproclamé, interroge Jacques Rigaut, témoin (de moralité ?) :
A. B. — Vous venez de montrer que le suicide ne vous semblait pas défendable, mais vous ne m’avez toujours pas dit comment, en condamnant tout, vous vous arrangiez pour vivre ?
J. R. — Vivre au jour le jour. Maquereautage. Parasitisme.

« Blanc ou noir, si je pouvais choisir, si je pouvais avoir un goût. »

En 1955, dans sa réponse au questionnaire de Raymond Queneau « Pour une bibliothèque idéale », parmi ses deux cent trois livres cités, Michel Leiris place les Papiers posthumes de Jacques Rigaut entre Le Parti pris des choses de Francis Ponge et Histoire de l’œil de Lord Auch, alias Georges Bataille. 

« Il n’y a rien à faire. Vous pouvez compter sur moi. Je m’en charge. »

Sur les photos (Man Ray) de groupe dada, Rigaut — maître en fusées amères, en aphorismes désespérés annonciateurs de ceux de Cioran — pose en compagnie de Paul Eluard, de Philippe Soupault, de Francis Picabia.

« Je suis le raté-étalon. » (Fragments posthumes)

Jacques Rigaut, créateur de l’Agence générale du suicide, « société reconnue d’utilité publique », dont il s’institue l’administrateur principal —  l’A.G.S. est heureuse d’annoncer à ses clients qu’elle leur propose une mort assurée et immédiate, ce qui ne manquera pas de séduire ceux qui ont été détournés du suicide par la crainte de « se rater » —, qui refuse l’aliénation du salariat, se passionne pour le dressage des puces savantes et la fabrication de cartes de visite microscopiques (37 x 19 mm), dont il dépose un modèle à l’Office national de la propriété industrielle — escomptant faire fortune.

« Je vous aime assez pour n’avoir rien à vous dire. » 

En 1974, dans les Trois Suicidés de la société (hantologie — dis-moi qui te hante, je te dirai qui tuer), Jacques Rigaut — dada d’entre les dadas, dandy de même, ou « dandy dada drogué » — est enrôlé, convoqué entre Arthur Cravan (le poète boxeur) et Jacques Vaché (le poète sans œuvre) pour constituer un trio maudit, une triade fatale, une triplette d’outsiders. Mais René Crevel (Mon corps et moi, la Mort difficile, Êtes-vous fous ? « Prière de m’incinérer. Dégoût ») et Roger Gilbert-Lecomte (phrère simpliste du Grand Jeu) auraient fait aussi bien l’affaire.

« Le jour se lève, ça vous apprendra. »

Dans l’Anthologie de l’humour noir (1940-1966), d’André Breton, Jacques Rigaut est placé entre Benjamin Péret et Jacques Prévert.

« Le 5 novembre 1929 enfin, l’instant est venu. Jacques Rigaut, après de très minutieux soins de toilette et en apportant à cette sorte de départ toute la correction extérieure qu’elle exige : ne rien laisser qui dépasse, prévenir au moyen de coussins toute éventualité de tremblement qui puisse être une dernière concession au désordre, se tire une balle dans le cœur. »

Ces quelques faits et gestes — et réminiscences —, je les tire de l’impressionnant livre-somme, fruit d’une inlassable (en)quête en France et aux Etats-Unis, de Jean-Luc Bitton, avec une préface (« Qui a tué qui ? ») d’Annie Le Brun — « À cet égard, Rigaut est insurpassable, pas une miette de sentimentalité, pas une once de psychologie et surtout pas la moindre velléité artistique ne viennent troubler la lumière nue dans laquelle il a choisi d’avancer, pour s’offrir le luxe de viser en chaque occasion le point où la vie, dans ce qu’elle a de plus éblouissant, est toujours susceptible de se retourner contre elle-même » —, un cahier photo, un exergue emprunté à Edouard Levé et une dédicace finale à Baudouin de Bodinat : soit quelque sept cents pages ultra informées, fourmillant de trouvailles, dont cent soixante-dix d’appendices (notes, index, remerciements, bibliographie).

« Je serai un grand mort. » 

 

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in Écrits, édition intégrale établie et présentée par Martin Kay, Gallimard, 1970 — pour toutes les citations rigaltiennes.

 

 

 

 

 

 

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