Janis & Daguerre de Jean-Pierre Bobillot par François Huglo

Les Parutions

04 juin
2013

Janis & Daguerre de Jean-Pierre Bobillot par François Huglo

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Ja, da, Daguerre c’était jadis, Jadis et naguère aussi, Janis (Joplin) c’était naguère (Noguez aussi), et sous le titre, à la question posée par celui d’un précédent livre, « y a-t-il un poème dans le recueil ? », a succédé cette autre : « qui veut des POèmes ? ». Leur synthèse pourrait être : qui veut jouer le, jouer au, jouer avec le, poème dans ce recueil ?

            Car il y a chez Bobillot plus que du « post-Fluxus », du Fluxus réactivé. Ou du Lennon (souvent, il lui ressemble), celui qui chante : « Dear Prudence, won’t you come out to play ? ». Mais pas d’oulipo, la principale règle du jeu étant la remise en jeu de la règle. Les « lignes de mots », ces « variations sur le mot ligne » qui forment la première partie du recueil, ne sont pas des « vers justifiés » ch’vavariens ou suelliens. La longueur variable de ces vers groupés par sept leur donne une apparence aléatoire, ainsi qu’à la strophe qu’ils forment. Vers injustifiables ? Cut ups ? Tout juste ! Anticipons un peu, en citant la seconde partie du recueil :

            « POésie C’EST la main à couper l’verbe sous les pieds d’la pensée

               POésie C’EST la main à couper l’fil de la pensée

               POésie C’EST la main à couper l’fil à la patte ».

            Tracer des lignes, des vers, des variations, c’est d’abord couper. Couper les anciennes lignes. Par une syncope. Avant le beat et sa génération, il y eut le swing. Après, the beat goes on. Comme le ciné —coupez !— ou la B.D., le vers est montage et rythme. Bobillot zappe et mixe un max. Happy zapping, Zappy Marx et Tristan Tzappa !  À contretemps, pas le temps de peser, de se poser. Faut-il rouvrir les raisons closes ? Retour à la première partie, aux

            « hibouX cloués auX portes & auX volets de la raison close »

et à des « instruXions » (à qui veut jouer le jeu) dans l’esprit Fluxus :

            « tracez une ligne droite & coupez-la en autant de segments que vous pourrez

               remettez bout à bout les segments ainsi obtenus dans l’ordre que vous voudrez

               comparez la ligne droite ainsi obtenue à celle que vous aviez d’abord tracée »

            Coupez, puis permutez ! Opérations guerrières, Deleuze dirait qu’à l’espace strié, sédentaire, elles substituent l’espace nomade, tourbillonnaire.

            « y a d’la fruiture sur la ligne »,

de la bruiture sur la ligne de front, de la

            « (…) fronfruiture eXcRuise aux pfRoètes

               n’est-c’pas, monsieur albuR Xrimot ? »

Voulez-vous jouer ?

            « ne restez pas là, soyez ! entrez en ligne de compte

               à votre tour faites signe »

Entrez pour sortir

            « qui que vous soyez, soyez hors ligne sur toute la ligne & dans les grandes largeurs »

Un bond de côté hors « linéaires de l’arnaque », une fuite au tub, fuite par le tube de toilette de Boby Lapointe :

            « ligne froide, ligne chaude, ligne mitigée »

            Cool ou hot ? Nous y reviendrons. Mais quel swing, quel punch, dans « POésie C’EST » ! Un tube, oui ! Kiffe, c’est du riff ! Il faudrait tout citer à voix haute, c’est doublement impossible ici. Coupons, recoupons (ça, on peut toujours) :

            « POésie C’EST l’insu, l’insufflé, l’insu insufflé

               POésie C’EST l’insuccès assuré

               (…)

               POésie SCÉnique

               POésie C’EST nique & panique

               POésie C’EST pas POétique

               (…)

               POésie ÇA dépend d’quel côté tu t’places

               POésie J’LA sens pas LÀ, d’ce côté »

               (…)

Coucou, Apollinaire !

            « POésie C’EST la main à couper ses effets au moimoi

               POésie C’EST la main à trancher l’coucou du surmoi »

Coucou, Denis Roche, mais

               « POésie C’EST l’inadmis »

plutôt que l’inadmissible.

            « POésie C’EST pourri

               POésie C’EST pour rire & C’EST pas pour rire »

What else ?

            « POésie C’EST & cetera… »

            Changeons un peu la règle du jeu pour les « antisèches ou POème à continueR », troisième partie du recueil. D’un côté du signe =, du « c’est » (ici inscrit en minuscules car il ne marque pas le temps fort dans une lecture publique, « mais pourquoi pas ? »), un patronyme. De l’autre, ce qui peut lui être associé. On dirait la pochette de Sgt. Pepper’s : des silhouettes de personnages, historiques ou fictifs, découpées dans les formules emblématiques, consacrées par l’usage, qui leur correspondent. Comme sur le collage définitivement « collé » à l’album des Beatles, le choix de ces personnages semble souvent l’indice d’une cote d’amour ou de popularité, mais pas toujours et l’une n’implique pas  l’autre. On dirait les « je me souviens » de Perec, avec une dominante pop, années soixante et/ou soixante-huitardes. Mais quand Bobillot écrit « toute une époque », ce n’est pas forcément celle-là. On dirait un joyeux exercice mnémotechnique : tous ces fonds de mémoire qui, remués, remontent pétiller à la surface ! Le bien connu de l’un est le moins connu d’un autre, et ce qui ne joue pas comme signe de reconnaissance est une invite à aller y voir, à taper le patronyme-clé, la formule-clé. On dirait, « référence sans déférence » à Jean-François Bory, un jeu radiophonique dont l’animateur serait Pavlov et le candidat, l’éventuel lauréat, le chien. On dirait… a public private joke ou, comme l’écrivait Bobillot naguère, une « co-énonciation intersubjective ». Le vélo de Michel Ohl passe entre la bicyclette de Jarry et la roue de Duchamp, l’auto de Georgius suit le magic bus des who. Cela pourrait aussi s’appeler « Contemporains favoris ». On révise ses « classiques » modernes et pops, sans oublier la médiologie : Niepce et Daguerre, Méliès et Lumière. Qui dit « oui » ? C’est Racine. Qui dit « Non ! » ? C’est Rimbaud. Qui chante :

            « i say “high”, you say “low” »

               You say “why ?” and I say “I don’t know”?

C’est Paul Mc Cartney, cité en exergue de la cinquième et dernière partie du recueil, “le haut et le bas des mots”, une ronde des permutations, retournements, séismes et révolutions, ronde ou plutôt onde d’où sort une ode à une Manon (Lescaut), une Nina (de Villard ou de Callias), une Ninon (de Lenclos). Auparavant, la quatrième partie, « Ode à M. Larsen » (forcément sonore, avec un nom pareil ! Et toute une histoire, mais d’abord « plutôt visuelle ») joue de permutations de mots-blocs-bruits-cris-glottes-grottes-cavernes-tubes-sangs-cuves-musiques-sons-sondes-ondes-proliférations — « inattaquables ». Joue, parfois en public, mais Bobillot semble vouloir affirmer, avec Jean-Christophe Averty, que le public n’existe pas : ce n’est pas lui qu’il invite à intervenir mais « chacun(e) dans le public ». Nuance.

            Revenons à la question : cool ou hot ? Le comique de Jean-Pierre Bobillot serait-il celui d’un clown blanc, le rôle de l’Auguste pouvant être confié (par exemple) à l’autre Jean-Pierre, Verheggen ? Oui et non, ou oui Lennon, l’un comme l’autre (John L. et Jean-Pierre B.) pouvant être aussi explosif, éruptif et rock and roll, que Little Richard. Mais l’humour des images de Nicolaï est flegmatique, vraiment ; blanc comme la morgue des animaux et des choses, blanc comme un linge sans pince sans rire, Blanche comme le parolier de la chanson des quatre barbus dont la musique est signée Beethoven (5ème symphonie). « Lapin lapin… ça… linge ». Mais « ça », on dirait plutôt du Bobillot.

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