L'Andalousie rouge et la « Blanche Colombe » de Manuel Chaves Nogales par Christian Désagulier

Les Parutions

02 févr.
2019

L'Andalousie rouge et la « Blanche Colombe » de Manuel Chaves Nogales par Christian Désagulier

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Il fut un temps où, écrivain, l’on pouvait s’écrire pour manger, c’est-à-dire exprimer de soi au frottement des choses qui arrivent, se couper en deux comme une orange des chemins andalous et faire tourner ses deux hémisphères cérébraux au presse-fruits du monde pour se couper la soif..

 

L’orange, fût-elle amère, de l’écrire on pouvait se nourrir tout en satisfaisant sa conscience des mots sous forme d’articles portés à l’exigence littéraire achetés aux journaux et aux magazines à grand tirage, ayant à l’esprit de les sauvegarder sous forme de récits, sauvegardée l’énergie accumulée lors de leur réalisation.

 

Tel est le cas de Manuel Chaves Nogales dont les éditions La Table Ronde (Groupe Madrigall), lesquelles éditions après avoir publié Histoires prodigieuses et biographies exemplaires de quelques modestes et anonymes (" Narraciones Maravillosas y biografías ejemplares de algunos grandes hombres humildes y desconocidos " ainsi que La bolchevique amoureuse et autres récits (" La bolchevique enamorada"), et puis Le Double Jeu de Juan Martínez, (" El Maestro Juan Martinez que estaba alli "), danseur de flamenco de son état retenu en 1917 à Moscou en pleine volte chorégraphique au début d’une autre révolution, voici que le Quai Voltaire entreprend de nous livrer quelques-uns de ses reportages tous traduits par Catherine Vasseur et prélevés dans l’édition intégrale espagnole laquelle compte 1978 pages, ceci sous la forme de beaux petits livres bleus.

 

Et si traduire est comme interpréter un rôle, interpréter le rôle du poème, du récit, du roman vrai à l’aune de cette incorporation par la langue, de l'aspiration de ce que les mots ont à se dire,  Andalucía roja y "la Blanca Paloma" y otros reportajes de la República est fort et clairement traduite. Ainsi, après Le tour d'Europe en avion, un petit-bourgeois dans la Russie rouge (" La Vuelta a Europa en avión "), vient s’ajouter L’Andalousie rouge et la Blanche Colombe & autres reportages dont le titre à lui seul dit tout le paradoxe hispanique. Extrait :

 

… Les rites qui s’y rattachent (à la célébration de la Vierge du Rocio, la Virgen del Rocío, la Vierge de la rosée. ndlr) surprennent, de nos jours. Il est curieux que des hommes sans doute affiliés à la C.N.T (le parti anarcho-syndicaliste espagnol, ndlr) ou au parti communiste continuent de les pratiquer… Plus qu’une procession, c’est un enlèvement - un véritable rapt mythologique… C’est un culte primitif, quasi sauvage. Les colosses qui fendent le marais, Vierge sur le dos, sont suivis à grande enjambée par le prêtre, hors d’haleine… Les habitants attendent la Vierge à l’entrée d’Almonte, massés sur le terrain communal… Le prêtre se dispose à ôter le mouchoir qui a dissimulé le visage de la Vierge durant cet étrange simulacre d’enlèvement. Attention ! Prêts !... (Ahora, Madrid, 7 juin 1936)

 

nota : Ahora, périodique Républicain dont Manuel Chaves Nogales fut le directeur de 1931 à 1939, avant l’exil à Londres..

 

Il fut un temps où sur ces mêmes chemins d'écrivain journaliste, c’est-à-dire d'écrivain jour après jour, un temps où l’on pouvait alors faire rencontre fraternelle dans le désir d’écrire le poème du monde, c’est-à-dire décrire le monde et ce le récriant, le récrire idéalement : " - Bonjour Monsieur Londres ! ". Il dut bien arriver que Manuel Chaves Nogales et lui se croisassent au bord de la Flache d’Europe des années 20 et 30 aux parapets en cours de descellement, le plus souvent en voiture automobile klaxonnant pour doubler celles à cheval, leurs gaz d’échappement se substituant alors à la délicate odeur du crottin.

 

C’est à bord d’un avion que Manuel Chaves Nogales atterrira en catastrophe lors d’un tour d’Europe dont le poète reporter audacieux et indemne rapportera en 1928 La Vuelta a Europa en avión. En 1940 le réputé Républicain recherché par le pouvoir fasciste – la puissance de qualité convaincante de ses écrits en ce qu'elle donnerait de courage à vaincre -  devra s'exiler et mourir à Londres.

 

Poète reporter que le réel effare, la beauté aussi peut être effarante à ses yeux, qui va d'un point à un autre en suivant un parcours erratique réfléchi, d'un point à l'autre sans jamais revenir de ce qu'il a vu et entendu, errant désormais dans ses poèmes.

Poètes reporter de l'aujourd'hui dans la seule mesure littéraire qui soit, consistant à relever le défi que chaque mot jette en le jetant au papier, mots si prompts à retourner ce qu’ils signifient contre eux-mêmes.

 

Une nécessité littéraire c’est-à-dire éthique de coller à la dérivée de la fonction de vérité tout en dévoilant l’incomplétude de toute révélation dès lors que l’on entreprend de lui ôter son voile (Nietzsche) tout comme à la Vierge du Rocio de Manuel Chaves Nogales. Une contradiction, une contre-diction : le travail du poème.

 

La fabrication d’antidote prosodique aux piqûres de scorpion, les piqûres de "l’homme par l’homme" pour l’injecter dans le ventre des journaux, des revues, des livres, de " porter la plume dans la plaie ", la plume fût-elle trempée dans une encre sympathique pourvu qu'elle soit au citron ou dans l'encre métallo-gallique à base de pomme de chêne.

 

L’auteur de L’Andalousie rouge et la " Blanche Colombe " en héritier du Siècle d’Or, Quijote et Buscon à portée de main, sera parvenu à convertir cet or en acier trempé dans l’histoire des débuts du Siècle Vingt vécue en temps réel. Dans ses reportages et ses livres issus, il nous prie de suivre à notre tour la leçon de Sancho, à savoir qu'il suffit de se lancer à l'assaut des moulins à dos d'âne aux fines oreilles, stylo et clavier alphanumérique en guise de lance et de bouclier, pour qu'un vent relatif se lève et que les ailes des moulins se mettent à battre, à tourner la langue à moudre le grain des mots des poètes à la voix rugueuse : hi, han !

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