L'illisibilité en questions par Bruno Fern

Les Parutions

13 sept.
2014

L'illisibilité en questions par Bruno Fern

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En fait, la plupart des poètes contemporains ne feraient-ils pas exprès d’être illisibles pour le commun des lecteurs ?

D’ailleurs, plutôt que d’illisibilité, ne serait-il préférable de parler de dis-lisibilité ou bien d’alter-lisibilité ?

Quoi qu’il en soit, les ouvrages de Christian Prigent sont-ils vraiment plus difficiles à lire que ceux de FOG[1] ?

Michel Deguy lui-même peut-il (sur)vivre (à) l’expérience qu’est la lecture de Demain je meurs ?

Pourquoi l’écriture de Nathalie Quintane serait-elle plus inaccessible que celle de Sei Shônagon[2], située à environ 10 siècles et 10 000 km de distance du lectorat hexagonal ?

Avec quels arguments C. Prigent explique-t-il que, selon lui, toute œuvre devrait comporter une « dimension d’opacité qui a fait que cette œuvre s’est faite » ?

En quoi la réponse à la question précédente rejoint-elle partiellement les propos de Jean-Marie Gleize sur « l’inoculation » d’une « masse de temps compacte et obscure » dans ses livres ?

Chez ce dernier auteur, quelle est l’importance de la figure quasi muette de son père ?

Comment  N. Quintane envisage-t-elle le fait qu’un écrivain puisse « cartographier l’Empire » pour mieux lui résister[3] ?

 Si vous voulez connaître les réponses à ces questions (et beaucoup plus encore), lisez cet ouvrage issu d’un colloque franco-américain qui s’est tenu en 2008 sous la direction de Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart. Les entretiens avec et entre les quatre écrivains invités (cités ci-dessus), menés sans complaisance ni langue de bois, donnent souvent matière à penser et les articles universitaires échappent aux jargons qui ne feraient que tourner autour du pot textuel – en plus de ceux consacrés aux auteurs susnommés, d’autres s’attaquent aux écritures d’André Du Bouchet, Dominique Fourcade (première manière, très marquée par Char, et deuxième, qui s’en est heureusement éloignée), Jude Stéfan (dont est ici soulignée, entre autres choses, la veine tragi-comique, ce qui n’est pas si fréquent), Pierre Alferi, Emmanuel Hocquard, Jean-Michel Espitallier et Julien Blaine.

 À travers les réponses apportées par les auteurs et l’étude attentive de leurs textes, les différents intervenants cherchent donc longuement dans quel fruit pourrait bien se loger le ver de la dite illisibilité (celui du texte lui-même ou l’oeil du lecteur confronté à du nouveau ; celui du monde conçu comme Réel qui s’oppose aveuglément aux mots ou celui des stéréotypes langagiers divers auxquels il faut sans cesse tenter de s’arracher ; etc.) et quelle méthode chacun des écrivains évoqués a choisi de lui appliquer : lutter contre son travail de sape en essayant éventuellement de le masquer ou, au contraire, ne pas hésiter à montrer les trous que fait l’animal dans la langue, voire à les élargir au risque d’en arriver à une négativité qui se mordrait la queue. On ressort indéniablement de cette lecture avec les idées plus claires, ce qui n’est pas rien sur un tel sujet, évidemment crucial pour tous ceux qui s’intéressent à ce que N. Quintane ne tient « pas plus que ça » à désigner par le mot poésie – et on ne peut que la comprendre, étant donné le nombre élevé de malentendus à ce propos.



[1] À ceux qui auraient réussi à lui échapper malgré son omniprésence médiatique : FOG = Franz-Olivier Giesbert – pour ma part, je n’ai jamais pu lire au-delà des 2 premières pages de l’un de ses innombrables romans.

[2] Dont N. Quintane se réclame : « Dans un pays où tout le monde rêve d’être Proust ou Antonin Artaud, quel écrivain voudrait se placer dans la continuité d’une pute médiévale même pas française ? »

[3] Citant à ce sujet les exemples des Poésies de Ducasse et d’Un ABC de la barbarie de Jacques-Henri Michot.

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