Le petit bestiaire de Julien Blaine par François Huglo

Les Parutions

02 août
2023

Le petit bestiaire de Julien Blaine par François Huglo

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Le petit bestiaire de Julien Blaine

 

 

Bréviaire naïf (Version abrégée)

 

« L’auteur, c’est toi », nous dit Blaine. Sa maïeutique n’est pas socratique, mais « sphinge », comme l’écrit Hésiode cité face au dessin d’un céramiste grec où, perchée sur une colonne, elle laisse Œdipe rêveur et désirant, peintre porté sur les ailes de sa modèle qui ne le dévorera pas. Blaine « mange de moins en moins » le lecteur qu’il interroge sur ses façons de marcher (et de manger). Il le laisse prendre en main les bifaces de « bimots » qu’il lui offre en guise de « bréviaire naïf ». Chacun, « entre la devinette et l’énigme », est un « mystère », un « secret » qu’il lui offre et qui devient le sien. « Mystère » au sens médiéval, mais non chrétien : qui (quel « sauveur suprême », dirait Eugène Pottier) ressusciterait toutes les vies sacrifiées (à qui ? à quoi ?) sur la terre ?

 

Bimot : « 2 mots liés par (une) double ligne d’horizon selon leurs affinités ou inimitiés éthologiques, zoologiques, biologiques, littéraires, cadastrales, homophoniques, polyphoniques, spirituelles, folkloriques ». L’horizon qui limite et découpe la vision du marcheur sépare et lie un ciel et une terre, ou d’autres mondes : peuplés d’êtres terriens, ou maritimes, ou aériens, ou souterrains, dont le marcheur convoque et implore le tribunal. Mais ces animaux malades de nos pestes ont déjà été boucs émissaires. Ils ont déjà « perdu sur tout », sans nul gagnant, et leurs amis se sont battus « pour rien ». Comment leur faire confiance ? « Tu t’es battu contre l’état policier = il y a des flics partout (…), pour accueillir les peuples en détresse = ils sont rejetés à la mer ou gelés en montagne (…), pour que toutes et tous vivent l’art et la culture = les médias ont viré tout ça pour le foot et les shows animés par des crétins largement payés pour nous abrutir ».

 

Dans le bimot, l’horizon est une conjonction. Le rapport qu’il établit peut être métaphorique, métonymique, d’opposition, de conséquence, de condition. Rapport logique sans toujours être langagier : il y a des bimots imagés, comme le n° 015 qui superpose la photo d’une astérie à celle d’un crabe, face au bimot n° 038 de la page précédente qui superpose ces deux mots typographiés. Rapports logiques entre des images, rapports plastiques entre des mots : l’ horizon du bimot, qui est aussi barre de fraction, peut rappeler celle qui, chez Lacan, sépare le s du S : deux courants superposés. Le bimot, image ou poème en marche vers une formulation mathématique ?

 

« Le bestiaire est certainement la forme poétique originelle, il n’y a qu’à se promener attentivement au fond des grottes aurignaciennes jusqu’aux aziliennes », où des femmes (le plus souvent) traçaient et gravaient « pour présenter leurs excuses aux animaux chassés, tués, mangés ». Depuis, les bestiaires en mots et en images ont suivi leurs voies parallèles comme les poèmes d’Apollinaire et les bois de Raoul Dufy, dont Blaine n’a cessé de reprendre le dialogue comme il n’a cessé de réécrire La Fontaine (« Agneau / LOUP ») qui lui-même réécrivait Ésope, Phèdre, ou des fabliaux. Les notes qui complètent les bimots comportent, comme chez le fabuliste, une théâtralisation tantôt médiévale (dans un tribunal des animaux , chacun accuse et interroge : « Vas-tu renoncer à nos tripes ? (…) Vas-tu renoncer à égorger nos petits qui ont encore le goût de notre lait ? »), tantôt antique (le chœur polyglotte où simultanément qui caquète, qui bêle, qui chevrote, qui meugle, ou brait, bulle — le cabillaud, comme un personnage de BD—, couine ou glapit.

 

La marche des poètes et des imagiers, des imagiers poètes, des poètes imagiers, parmi les animaux, accompagne le parcours personnel de Julien Blaine parmi les habitants de ses « collines d’Allauch (l’Étoile et le Garlaban) et de Ventabren (La Trévaresse) », des allées de l’Arc, du Jarret, du Verdon, et de l’étang de Berre, puis avec les éléphants du cirque Franchi (« plus de 50 ans déjà ! »), avec le « poulpe des îles du Levant », avec le « cham’âne du Berry en 2011 »…

 

Comment éviter les « banalités nourries de bonnes intentions et de bons sentiments » ? Les « postures » souvent « ridicules » de végétariens ou végans qui « condamnent au lieu de persuader » ? Conjonction, le bimot relie. Comme, étymologiquement, l’intelligence.

 

 

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