Massacres de Typhaine Garnier par François Huglo

Les Parutions

09 juil.
2019

Massacres de Typhaine Garnier par François Huglo

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            Salubre chahut ! Mais de qui se moque-t-on ? Qui massacre qui, en ce détournement de poèmes majeurs (de Rimbaud, Baudelaire, Ronsard, Corbière, Hérédia, Mallarmé, Verlaine, Labé, Nerval, Gautier, Du Bellay, Peletier du Mans, Hugo), traduction-trahison ou craduction, mot forgé par Pierre Le Pillouër et genre pratiqué en des Pages rosses (les Impressions nouvelles, 2015) par Typhaine Garnier avec Bruno Fern et Christian Prigent, qui signe ici la postface ? Comme dans une édition bilingue, chacun garde son intégrité dans le jeu de va et vient qui s’établit entre l’original et son écho, jeu de téléphone entre un mal entendu (écoute très distraite ?) et un mal répété, comme dans la chanson à deux voix de Boby Lapointe : « Andréa c’est toi / Entre et assieds-toi. Bon allez je m’assois. / L’amante la plus belle / Mate la plus belle… je mate ». Jeu de massacre, mais jeu. Une élève tournée vers la classe contrefait pour la galerie les vers (« Le dormeur du val ») proférés par « Professeur Duval ». C’est lui qui est visé quand le premier vers est traduit par « Cette intro d’envergure est chiante, une heure hier », « tête nue » par « note tue », « Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme » par « Le vieux pédant, l’aïeul est mort, cuit en son rhum ». On le retrouvera dans le « Dinosaure en livre » ouvrant « La mort des amants », devenue « Sade en m’endormant ». Et dans « L’ennemi », devenu « L’anémie » : « Kyriell’ de sermons, charabia… peu d’bruits m’éveillent » (pour « Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils ») et « Vieux cageot, t’es bouché ? » (pour « Voilà que j’ai touché ». Dans « L’envie est ailleurs » (« La vie antérieure »), c’est encore lui : « (…) la nuque sue, l’été ! Le prof en tire / Le sucre doucereux, quand fait semblant de lire ».

 

            On pense au prof dont Jarry fit Ubu. Et si c’était lui, le massacreur de poèmes ? Il se trahit en des « notes » dignes de ce qu’on peut trouver de pire chez Lagarde, Michard et leurs successeurs. Exemple : « Loin des servitudes urbaines funestes à la rêverie, les âmes blessées par la vie trouveront dans la Nature un refuge apaisant pour le cœur et favorable à la poésie. Comment les sentiments du poète sont-ils soulignés par le tour des phrases et le rythme des vers ? ». Mais comme un Tartufe déshabillé, ces notes perdent toute leur respectabilité car elles ne figurent pas en bas (en annexe plutôt) des poèmes originaux, mais de leurs contrefaçons farcesques. Ainsi, quand les vers de « Larme » « Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise » et « L’eau des bois se perdait dans les sables vierges » sont « traduits », respectivement, par « Coupés vache. "Au rebut, l’ancêtre Pégase ! » et « L’Aube aux doigts saupoudrés : sucrée fable ! Ô verge », les notes défendent leur vertu assiégée : « "Au rebut, l’ancêtre Pégase !" : si la Poésie a perdu sa dignité, c’est que les poètes eux-mêmes l’ont outragée », et : « "verge" : comprendre corps. Expliquer la métonymie ».

 

            Pire que Lagarde et Michard, le manuel moqué n’est pas structuré chronologiquement (ce qui donnait des repères qui aidaient à situer l’histoire littéraire dans l’histoire), mais par thèmes, que les poèmes viennent illustrer comme on saupoudre une tarte. Car ils sont tartes, ces thèmes : « L’amour de l’art. Les délices de la vie. La fraîcheur rustique. L’ardeur de la passion. Le transitoire. Les revers du sort ». Rions jaune. Combien de manuels de français ou de philo ainsi organisés en rubriques de magazines font regretter les Lagarde et Michard d’antan ?

 

            Les massacreurs sont bien les aseptiseurs, anesthésistes, castreurs et embaumeurs de littérature qui ont dégoûté des générations de potaches de ces poèmes que Typhaine Garnier invite au contraire à réveiller, qu’elle secoue pour jouer avec eux. C’est plus difficile que leur réduction au conditionnement qui les neutralise : « C’est froidement technique », écrit Prigent. « On met de côté le sens. On n’écoute que le bruit de la langue ». Et « le résultat » est « impeccablement métré ». Typhaine Garnier « anamorphose acoustiquement le texte prétexte », en dessine la figure « saisie de biais et distordue ». Dévotion à des beautés rimbaldiennement injuriées ? Prigent décèle « une sorte de piété attentive, derrière ses impiétés : sacre et massacre, indissolublement ». Juste ce qu’il faut de divinité pour donner sens et saveur au blasphème qui la fait vivre, l’arrache aux griffes du Grand Inquisiteur !

 

 

 

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