n’étaient messieurs les bêtes de Laurent Fourcaut par François Huglo

Les Parutions

08 juil.
2023

n’étaient messieurs les bêtes de Laurent Fourcaut par François Huglo

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n’étaient messieurs les bêtes de Laurent Fourcaut

 

 

Sonnets désobligeants

 

            En couverture, les animaux malades de la peste humaine. Tous sacrifiés, tous boucs émissaires. En titre, Rabelais retourne le dicton « Si n’étaient messieurs les clercs [les gens d’église], nous vivrions comme bêtes ». Dedans, un journal en sonnets, sans ponctuation ni date, mais avec mention parfois du mois ou de la saison, souvent à travers la météo, et du lieu, avec le désir de mettre « au trottoir », pour « la déniaiser », l’écriture « qui montrait sa blanche langue ». À Paris comme sur la presqu’île du Cotentin (comme pour une opposition balzacienne entre scènes de la vie parisienne et scènes de la vie de province), ou ailleurs, le colloque (Apollinaire à Stavelot, en Belgique, en septembre 2018, ou sur la « démesure » à Gaffa, en Tunisie) donne sur le bistro. « C’est là », pense Laurent Fourcaut avec Simenon, « qu’on touche du doigt le vrai » : le refoulé, « gens que le marché a convertis en loques », ces « perclus niés » qui sur les ronds-points ont accédé « à la forme ». Le sonnet « Refoulé : le retour » commence par « Vous sortez du café marchez sur le trottoir », qui rime avec « aléatoir », « obligatoir » et « giratoir », l’e muet coupé tombant sur le début du vers suivant comme pour inscrire la mutilation, le manque, la précarité du « monde muet » qui, écrivait Ponge cité par Fourcaut en postface, « est notre seule patrie ».

 

            Le sonnet de Laurent Fourcaut est un animal rassemblant ses forces, prêt à bondir, peut-être l’un de ces « trois mille tigres » qui « subsistent sur terre (…) et plus dans les zoos qu’il n’en reste de libres / à comparer avec le vil pullulement / des humains invités à choyer leurs envies / que tourne la machine à excréter l’argent ». Du félin, le sonnet cultive la souplesse par de nombreux rejets, parfois avec coupe à l’intérieur d’un mot, voire d’une syllabe : « sa reva / nche », ou prolongeant les 14 vers, comme d’une excroissance, de syllabes excédentaires : « reste un monde placé sous le signe du hand / icap ». Ou d’une lettre : « C’est d’en bas que repartent tenaces les choses / de la sève du jus des liquides à doses / de cheval Giono disait ça l’obéissanc / e ». Ou de plusieurs lettres : « n’ayant plus le bon dieu ectoplasme à leur trou /sses ».

 

            Qui dit coupe, contretemps, syncope, dit swing, ce que confirment la plupart des références musicales : Bach sans les paroles (ses cantates « déliées du verbe / qu’il faut s’inoculer en un temple », ou « viole de gambe et clavecin qui se lutinent »), Scarlatti qui « brode férocement / sur l’attente qui répugne à tourner ciment », ou « Brahms joué par Gould », sont rejoints par John Coltrane, Jimmy Smith, « Bill Evans qui rêve / au retour du champion maudit de la vie brève », ou donne l’exemple de la perte de la maîtrise « en l’émiettant », Michel Legrand « le vrai moderne / à la crête du flot » de la « music comme pure énergie diffractée », de « l’archaïc retourné comme un gant » par des « millions de cellules » pour « y prendre leur pied », sans oublier « Bian / (Voris) » qui « ne buvait pas de l’eau d’Ébian », au « temps où s’inventait le gars Brassens ». Ce n’est pas sur la plage de Sète, comme dans la « Supplique », mais dans l’eau salée de la rade d’Alger, que fut connue « la prime amourette », mais on reconnaît « le gorille » quand « Le grand Pan sort du bois et il encule Hegel ».

 

            Au philosophe idéaliste conciliant la raison avec la réalité en inscrivant sa « rose dans la croix du présent », le poète oppose une guerre des deux roses entre la jaune, dont les écus flétrissent, et la rouge « aux allures de garçonne », dont la « splendeur dédaigneuse » est lasse de « porter indéfiniment la croix / de sa beauté ». Un « matérialisme enchanté », dévoré par un « désir de profondeur étranger à Ponge », veut forcer les trous que recèle la rivière, pour « toucher à la vie engloutie », en sympathie avec les Vies minuscules de Pierre Michon (« Vie majuscule »), avec les « campagnes sourdes », avec le Périgord de « l’ami Tristan Hordé », en contact avec l’« air cru du dehors » où « le réel contigu » bronze l’âme qui « se contrefout de la quête du Graal », même à « Sainte-Mère Église ».

 

            Comme le rosé entre rouge et blanc, le poète hésite « entre faire la nique / au divin clinamen et abandon osé / au flux sacré mortel charme de l’édénique ». Entre ces deux chaises ou posé sur l’une, « l’arrière-train des filles » est « un miracle à fendre ».  On pense ici au Brassens de « La fessée », après ceux de la « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète », du « Grand Pan » et du « Gorille ». Et quand « Le néant offre » un « sparadrap / qui vaut bien les abîmes du jus de la treille », comment ne pas entendre les vers ultimes de la chanson « Le vin » : « Que vienne le temps / Du vin coulant dans / La Seine // Les gens par milliers / Courront y noyer / Leur peine » ?

 

 

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