Poèmes de transition de Branko Cegec par Christophe Stolowicki

Les Parutions

27 nov.
2020

Poèmes de transition de Branko Cegec par Christophe Stolowicki

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Poèmes de transition de Branko Cegec

Saisi l’on feuillette, et ce qui d’emblée saute à l’entendement est, de toute sa slavitude renouvelée, sexuelle jusqu’à l’os, la prodigieuse, omniprésente touffeur érotique de ce poète dont quarante ans d’écriture (1980 – 2020) nous sont ici déployés. Immergée dans la nature, dans une culture, une sexualité immanente, aussi métaphorique au long cours que voyeuse de scènes happées, que fantasmée : « se déposait ta présence. Oh, quels jets / de sève le long des filtres des tendres stalactites […] tu extrais en moi comme le goudron dans la jointure des blocs / en pierre et cette joute dépassait les pouvoirs / du charnel et du réel » ; « Merveilleusement effleuré par des corps qui passent / je sombre imprudemment dans leurs odeurs [… comme un ] qui / parle, / note, écrit : ici il ne peut y avoir de fin » ; « les fillettes ont refusé de crier / comme tant d’années auparavant, à Woodstock […] et moi je me taisais, pensif, rayonnant de réalité » ; Éros associé à « chaque blanc de ma phrase marginale » ; conjointes « Syntaxe de la peau, syntaxe du clair de lune » quand « De nouveau belle, joyeuse, docile, tu t’es glissée dans l’odeur de ma peau » ; par canicule rendu hommage à Sade en couple à « lacoste », vibre le lyrisme de Gilbert Lely ; mais ici sensuel débordant, contenu – tout entier contenu dans les arcanes d’une langue que nous ne parlons pas.

Une poésie rudement masculine qui serait incongrue en France.

Avec le reflux du désir, elle monte en langue, l’aporie pèse son cent de fumées, l’anaphore respire à plein poitrail ; « l’automne n’a pas même commencé que tu convoites déjà octobre », constate un qui n’entend pas mourir sur les saisons. La France a beau demeurer la référence obligée (« j’ai vu des femmes pleurer / de nombreuses femmes et deux filles, entrelacées devant le consulat français »), on ne peut pas dissocier la poésie de Branko Cegec de sa réception : on sent bien qu’en Croatie la lyre demeure l’instrument d’élection qui en France a cours nivelé. La France qui a gardé ce prestige pour les Croates date d’il y a un demi-siècle.

Poèmes de transition. On a feuilleté, repris par le début. Et un commencement d’hypothèse nous vient pour l’incompréhensible titre qui reprend celui d’un des derniers poèmes (« On a été contre et / on a été des marchands / on vous a acheté notre beauté et notre richesse // on s’est payé vos usines / où vous ne travailleriez pas / on a libéré vos champs / où vous ne sèmeriez pas »), si actuel. Comme si, de « l’internationale » des débuts où se desserre le carcan d’un communisme pourtant atténué, à « la multinationale » qui suce nos moelles et par un ricochet d’Orient extrême nous assomme, tout ce bonheur sensuel si intimement trempé d’écriture n’était qu’une transition, l’Histoire retournant à l’Histoire. 

De cette poésie du fond de l’œil, les traductrices (une merveille entre cent : « dans le tissu de camouflage [je] développe un texte, un textile, une télépathie ») assurent un rendu fidèle dans le mot âme haut.  

 

 

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