Rimbaldiennes de Jacques Demarcq par François Huglo

Les Parutions

27 janv.
2015

Rimbaldiennes de Jacques Demarcq par François Huglo

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            Genre littéraire, pictural, musical : fantaisie. (In)discipline : exologie, « la science de l’inconnaissable, du réel ou fictif, peu importe, qui file entre les mailles des concepts, et qu’il faut renoncer à codifier si l’on veut prendre sa démesure particulière ». Science qui autorise « l’hypothèse pour rire, la traduction tordue, l’errance délibérée ».

            L’exologie est une fantaisie de poète de sept ans, guère plus sérieux quand il en a dix-sept : « Un peu plus tard au collège, tu as couvert tes cahiers de contes à-demi griffonnés, demi gouachés ou aquarellés, et qui se mélanguaient, s’emberlificotaient, sans qu’aucune histoire jamais ne se dénoue ». Aventures d’Arthur ? Des personnages, humains ou animaux, de son « roman sans cesse médité », sans origine ni fin ? Genèse des Rimbaldiennes de Jacques Demarcq ? Tout cela se recoupe, joue : « Quel exemplaire destin sans réponse que le sien ! (…) Une torture atroce pour les profs, les curés, tous les chercheurs de sens et donneurs de leçons. Qui n’éprouverait de pitié devant le cancer proliférant de leurs commentaires ? On ausculte, on dissèque, prescrit là une sémiothérapie, traite ici aux rayons de bibliothèque : rien n’y fait ! Subsiste la syllabe, le pied fatal qui fesse les Assis. À telle pointure que Claudel s’est retrouvé cul-béni au sortir d’Une saison en enfer ».

            Le sens est excédé par les sens. Par la vue : « la peinture, du moins, fait silence. Elle reste en bas béant du poème sans légende ». Par l’ouïe : « Par l’oreille mieux que par les yeux ne respire-t-on pas l’espace ? ». Comme les romances verlainiennes, les fresques des cavernes sont « sans paroles ». « And what is the use of a book, thought Alice, without pictures or conversations ? » (exergue). Arthur, amateur de « peintures idiotes », et ses ancêtres des cavernes, « se coupent du monde ; et la langue avec », pour « s’enfanter, bête la première », en projetant « des graffitis vite faits, des jets de soupe ». Des dessins de Pablo ou d’autres, des photos, s’insèrent dans le texte. Plus loin, avec un i, un u, un o, verticalement serrés entre deux parenthèses ouvertes, face à un sonnet où, en titre, elles sont fermées, Demarcq nous refait « l’origine du monde » de Gustave.

            Calligramme ? Poème spatialiste ? Demarcq explore, géographiquement et textuellement, les voies d’un spatialisme rimbaldien. « Les cathédrales, celles de Laon en particulier », étant « des cavernes domestiquées retournées comme un gant, un gland ? vers le ciel », il retrouve en Thiérache « l’auteur de l’ithyphallique graffito pioupiesque, avec sa tête d’oiseau, qui fait " pioupiou, pioou ", étendu raide mort sous une bisonne hirsute, les tripes à l’air, dans la nuit du puits de Lascaux ».

            Les « refrains niais, rhythmes naïfs », ne sont jamais loin des « peintures idiotes ». À Chimay, où l’Oise prend sa source, Arthur retrouve Paul, « révolutionnaire des caboulots », qui invente une liqueur verte en chantant « Ah ! is ara, is ara, is ara ! ». Peut-il, « complètement sonnet », espérer qu’une « bougre O.I.S.E. (…) serve O.I.S.E., plein ces bockages » ? Ah, Paulot « Les-Sanglots-Longs », ses langueurs de « moto-nonnes » et d’ « abbés blêmes »…

            Comme le spatialisme de Pierre Garnier, celui de Jacques Demarcq et d’Arthur Rimbaud, compagnons de jeu l’espace d’un livre, passe par l’ornithopoésie. La vision pragmatique de l’oiseau s’apparente à celle du peintre « en Érythrée, au Texas, au Portugal », qui se pose, « mais seulement des questions ; et de syntaxe, logement dans les trois dimensions, plutôt que de vocabulaire formel ». L’imprimeur examine l’épreuve, mais « qui a dit que les oiseaux n’avaient pas de lettres : ils n’ont que ça ! Eux qui se moquent de signifier, qui ne conservent du verbe que rythme et chant, voyelles volatiles, consonnes filantes ou trébuchantes ». Comme les « chers corbeaux » d’Arthur, se dispersent et se rallient des constellations de lettres sonores, d’onomatopées. Oyons-lisons l’engoulevent : « erreurrerreurrerreur, erreurrerreurrerreurr… », la pie-grièche écorcheur : « tchéroo ! tchek l’échec mec ». Des « oiseaux clabotteurs » nous guident vers un alphabet marin, une imprimerie avec j en crevette grise, œ en moule, g en bigorneau, r en vague. D’autres s’apprivoisent : dès que les aras « apprécient quelqu’un, ils arra’chent à leur ch’arabia des décl’arations de cam’araderie comp’arables à la voix qui les charme ». Demarcq parle ouich, les Ouichs parlent oiseau. « Car ce qui importe, en ouich, n’est pas de nommer (les homonymes foisonnent), encore moins d’expliquer, mais chaque fois de réinventer les mots, les remotiver mobiles pour propulser le verbe avec la vie : le coureur vers l’antilope, hop ! le rêveur par-delà l’horizon, zon ! ».

            Il y a chez Rimbaud « des chansons au tour gai, facile : popu quasi, quoique pour personne ». Il y a « l’humour dans le scepticisme », et l’aspiration, « après la Commune, à une éruption improbable, un chaos dévastateur ». Pas l’Illu…soir historique, mais sous l’Illu, la mination. Et l’adieu, dès le départ. Lampedusa :

            « Si me déchire un mot d’Europe ah c’est le lâche

               Accueil dans un camp jetée crapule à jamais

               Un enfant blotti sous un vieux battle-dress cache

               À ses yeux les horribles portillons fermés ».

           

 

 

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