TROIS POèTES AVEC de Jean-Pierre Bobillot, Jean-François Bory et Jacques Demarcq par François Huglo

Les Parutions

06 mars
2018

TROIS POèTES AVEC de Jean-Pierre Bobillot, Jean-François Bory et Jacques Demarcq par François Huglo

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Argument : « Le jeudi 28 septembre 2017, en la librairie À Balzac À Rodin, rue de la Grande Chaumière à Paris, Jean-Pierre Bobillot, Jean-François Bory, Jacques Demarcq, ont exposé et lu leurs textes en souvenir de Guillaume Apollinaire ». Trois poètes (trois potes, autour d’un accent sur un e) autour d’un quatrième. Comme les mousquetaires ? Mais ces fab four-ci sont de drôles d’oiseaux, pour une drôle de jam-session.

 

Depuis le néolithique, écriture et agriculture ont partie liée. Boustrophédon ou non, prose rectiligne ou vers, c’est toujours sillon. Les « idéogrammes lyriques » d’Apollinaire s’affranchissent de ce sol labouré à l’heure où, comme il l’écrit, les « moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et le phonogramme » terminent « la brillante carrière » du livre, de la page, de l’imprimé, ou les obligent à se recycler, telles les « typographies zigzagantes de Jean-François Bory, de Jacques Demarcq ou de Jean-Pierre Bobillot », introduites par ce dernier dans son texte liminaire, « entrée des media ! », que précèdent une photo du sourire (complice ? amusé ? libre) d’Apollinaire, et une autre de Bobillot lisant nous verrons aussi Bory lisant, Demarcq lisant, lecteurs exposés parmi les textes exposés, plus que jamais nomades, à la fois colporteurs et tableaux d’une exposition. Le medium conditionne le message et le suscite : les mutations des « configurations médiopoétiques » décrites par Bobillot œuvrent moins à une « sortie du poème hors du livre » qu’à « une décisive extension du domaine de la poésie, potentiellement délimité(e) ».

 

« Vers ou prose, qu’importe ? La question n’est plus là » pour le lecteur de « hurle » de Tristan Tzara. Le « Poème à crier et à danser » de Pierre Albert-Birot participe d’un même « changement de paradigme médiopoétique ». Au lecteur (poète) Bobillot succède Bobillot poète (lecteur) : « l’orch-iDÉe orch-eSTRale s’élabore »… en un bond de Mallarmé à Ghil ! De l’agriculture comptable du vers où ce « qui compte c’est là où ça coupe », le Grabinoulor de Pierre Albert-Birot s’est échappé, et avec lui la « prOse la vraie celle qui ne s’arrête jamais ». Échappée du champ dont les labours tracent et retracent les limites. « Concrete poetry tells it first, concrete poetry tells it better », écrit Jean-François Bory : la poésie concrète revient à la terre, au monde. Au sémanticien américain Alfred Korzybski affirmant que « la carte (de géographie) n’est pas le territoire », Bory répond : « oui, naturellement. Mais la carte de géographie est, elle aussi, un objet dans le Monde. Le poème concret est un objet dans le Monde ». La poésie concrète n’est donc « pas une révolution », mais « un changement de point de vue sur les mots et le monde, une minuscule réforme du langage poétique ». Loin de « dériver vers les arts plastiques ou la calligraphie décorative », les poèmes de Jean-François Bory explorent un entre-deux où, imprimé sous le mot Palais en gris, le même mot en noir ne le reflète pas, n’est pas son image inversée : le P figure sous le s, pas sous le P. Plus bas, le mot Palais reflète encore moins le mot reflets, sous lequel il figure. « Le plaisir de l’esprit se situe, me semble-t-il, entre ce qui paraît banal en début de lecture et se déploie ensuite dans l’esprit dans une délectation de sens », écrit Bory. Cela ressemble à l’humour.

 

Le passage de Bory à Demarcq ne peut être qu’un passage d’oiseaux, ces nomades par-dessus les toits tranquilles des champs labourés. Bory inscrit le mot cri dans un i, autant de fois qu’il y a d’oiseaux dans un vol, puis l’i s’obscurcit. Légende : « Passage d’un pélican tout près ». Ce passage d’une page à l’autre, cette séquence, peut rappeler la B.D. (BirD ?). Plus loin, les mots trille, merle, silence, soir, se perchent sur des portées, entre clés et notes, intégrant ainsi la légende à l’image. Quand Bory use de phylactères, y inscrit les mots « chutes de V, de K, de R, de W puis de O et de J… », ou : « À l’impossible nul n’est tenu… », ou : « Personne pour raconter l’histoire ?! », on cherche en vain sous l’extension pointue de la bulle le personnage qui les prononce : il est hors du champ occupé par des lettres qui passent comme des nuages colorés, ou disparaît derrière leur ruissellement, se cache derrière leur éboulis. Exceptions : le livre demandant « Pourquoi le livre ? », et le « Bang » écrit et dessiné, coloré, demandant en latin et avec Juvénal qui garde les gardiens. Bory ou l’extension des aventures de Philémon ?

 

À Saint-Louis du Sénégal, Jacques Demarcq explore l’hypothèse : « la nouveauté plastique des calligrammes a influencé Picasso pas moins ! ». Les arcs du pont dit Faidherbe du fleuve Sénégal, les arcs des ailes d’oiseaux, s’annonçaient dans les vers inscrits dans des bandes grises formant sculpture ajourée sous le titre « un picasso » : « cage ouverte au travers tes bras se tendent arc à l’oiseau », ou : « avec les lignes de tes vers j’ai bâti un volume monumentalement aérien ». Bory écrivait : « Le lettrisme est l’exemple même de l’échec d’une direction excessivement plastique qui a fini par aboutir, hélas, à un cul-de-sac ». Sous le titre « scolies », Demarcq semble reprendre la discussion : « le calligramme est moins le mariage de l’écriture et du dessin que leur affrontement (…). La typographie ne se dynamise qu’abstraitement et dans le détail : par le mélange de caractères disparates, la déformation de certains ou leur détournement figuratif, la dislocation ou torsion des lignes, l’introduction d’éléments non scripturaux tels que vignettes ou formes abstraites. C’est l’hétérogénéité des moyens visuels, autant que lexicaux, qui crée une agitation sur la page ».

 

Intéressé par « l’absence de règle » de la formation d’un vol de pélicans, qui « pratiquent un peu tout : en ligne, en V, en grappe, voire de front, selon les circonstances ou leur humeur, allez savoir », Jacques Demarcq écrit : « Le signifiant, dans la nature comme dans la langue, préexiste au sens. Une sorte d’électron libre qui attend une grammaire pour s’éclaircir (…). Saussure l’a établi : le signifiant est arbitraire. C’est sa force : il n’est pas du semblant. Meens le martèle. Moi aussi sur les doigts des poètes joueurs de jolis mots ». Au vol de pélicans traversant la double page, qui « fait tache dans le texte, n’illustre rien, n’a aucun sens que lui-même », ne manque « qu’une condition pour être un signifiant : que j’en fasse quelque chose. Je n’ai pas dit l’affubler d’un sens ». Plutôt le lire, « à la John Cage », comme une partition.

 

Quelques vols encore chez Jean-Pierre Bobillot : des mouettes et des poètes au croisement muet de lettres colorées :

 

     m  u  t  e
        o  e  t   s
     p

 

ou :

 

miettes,                  te
                    mo       t      s...
                          ue

 

Tant pis pour Heidegger : « L’Art bat l’Être », écrit Bobillot dont les « antisèches » continuent, dans les dernières pages, l’ « Hommage à Pavlov » de Bory dans les premières. Tant pis pour Mallarmé, le « sens plus pur » s’envole : « Donner aux colonnes de Brancusi un air caldérien », écrit Jacques Demarcq. Tout un programme et entre les TROIS POèTES et le quatrième, toute une synergie.

 

 

 

 

 

 

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