Albane Prouvost, renard poirier par Anne Malaprade

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01 mai
2022

Albane Prouvost, renard poirier par Anne Malaprade

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Albane Prouvost, renard poirier

Albane Prouvost est un écrivain rare. Elle a publié Ne tirez pas camarades (Unes, 2000) et meurs ressuscite (P.O.L, 2015). renard poirier est un livre admirable, édité avec beaucoup d’élégance par La Dogana.

Il déploie une citation de Mandelstam, « Le poirier a tiré sur moi », qui éclaire, rétrospectivement, le titre des deux précédents ouvrages d’Albane Prouvost. Cette fois c’est un arbre qui tire sur un individu. Cette fois ce qui meurt et ressuscite c’est l’animal et c’est l’arbre, mais aussi la « neige », la « glace », ou encore un « moi vœu de Mandelstam ». Le texte se regarde et se lit sur des pages non numérotées. Il se présente sous la forme de vers uniques, de distiques, de tercets ou de quatrains, qui reprennent, répètent dans la variation, ou encore modulent légèrement des énoncés faisant intervenir les principaux motifs suivants : renard, poirier, maison, neige, glace, raison. Un « je » discret apparaît parfois : « Seigneur de neige je te lirai demain », « je fais moins que la définition/je fais plus que la définition ». De même, le « nous » est exceptionnellement convoqué : « au-dessus de la barrière fleurie/pas en-dessous/nous discutons ». Des expressions associent de manière surprenante des termes a priori éloignés : « pourriture de neige », « pourriture de glace », mais aussi « renards pourris », « maison brodée » ou « raison incandescente ».

Le lecteur se trouve ainsi plongé dans un tableau animé qui participe du conte, de la fable ou encore de la légende. Il était une fois, on raconte que, jadis… Qui est ce renard ? Que peut, que veut ce poirier ? Où se cache l’humain ? Que recouvrent et que découvrent, tout à la fois, la neige et la glace ? Plus la langue est limpide et claire, précise et blanche, factuelle et littérale, plus l’évidence saisie par les mots touche au mystère de la résurrection et de la présence de l’infini dans le fini. Le livre, ainsi, se parle autant qu’il se chante – tout au moins intérieurement. Prière horizontale, il module également des questions ouvrant des perspectives existentielles à partir d’un lexique courant qui tourne le dos à la métaphysique : « qui enterre le poirier ? qui se préoccupera d’enterrer le poirier ? qui attaque qui ? qui porte qui ? qui appartient à qui ? » Tous ces pronoms interrogatifs disent bien que l’humain est responsable de l’ensemble des vivants, végétaux et animaux, et qu’il ne peut se soustraire à son rôle de témoin et de compagnon. Ces vivants, d’ailleurs, faune ou flore, « croient » et « pardonnent ». Ils vivent dans l’intuition d’une communauté originelle qu’aucune neige ni glace ne devraient pouvoir effacer. Ainsi la nature, désormais « irradiée » par la démesure et les crimes de l’homme, lui rappelle qu’au-delà des années et des rêves, des guerres et des destructions, ce dernier se doit de prendre soin de « l’incroyable bonté » des arbres et des animaux.

Le vers ultime— « bienvenue renard fleuri » — dit le syncrétisme qui s’opère entre les animaux et les arbres au sein de cette nature naturante. Si le renard fleurit, le poirier, peut-être, chasse, ruse, se reproduit, tombe « amoureux ». Mais qu’en est-il de l’homme ? Il apparaît, piètre roi des animaux, « sans couronne » : son statut d’exception n’est plus.

 

 

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