L'usage de l'imparfait de Maxime H. Pascal par François Huglo

Les Parutions

18 mai
2019

L'usage de l'imparfait de Maxime H. Pascal par François Huglo

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            Un silence oppressant répond aux questions de Maxime H. Pascal, lancinantes comme les appels d’un violon (le dernier ?) dans Les quatre saisons de Vivaldi ou le chant de l’ « invisible oiseau » (le dernier ?) qui, dans une phrase à l’imparfait, « explorait d’une note prolongée la solitude environnante », mais « recevait d’elle une réplique (…) unanime, un choc en retour (…) redoublé de silence et d’immobilité » (Du côté de chez Swann). Ou comme la baleine « supposée bleue / seule au nord Pacifique / au large d’Alaska elle revient d’août en août / elle vocalise en 52 hertz / elle est isolée c’est-à-dire unique / (…) / 52 hertz appelle et appelle et appelle / elle est seule / elle persiste ».

 

            Silence qui suit la déflagration : « le cœur du réacteur n°4 est instable (…) à 1h23 minutes le 4eme réacteur explose ». Silence des corps sans questions : « les corps armés d’ordres sont envoyés pour maintenir un maintien de l’ordre ». Silence, seule réponse quand « ton résidu de voix interroge le brouillage sonore interroge les crêtes du brouillage sonore interroge le silence au centre du brouillage sonorisé questionne les langues comprimées rétrécies caquetantes en jargon planétaire la place qu’il prend l’obésité qu’il pèse le plus en pire qu’il répand / les voix de pouvoir ne parlent pas / elles font trafiquer des vocables à larges tours de tailles font flasher des icônes collectives des mirages en 3 D des mots colifichets béants des discours promotionnels ». Silence du sujet : « il y a quelqu’un / est-ce-qu’il y a quelqu’un (…) les voix sont-elles solubles dans les charivaris les stocks d’ambiances les musiques de fond chahuts raffuts zik frénésies (…) y a-t-il des propriétaires pour les bruits des maîtres du bruit de la manœuvre des bruits l’organisation des déflagrations ». Silence de « la routine intelligente du programme » qui « te digère ». Il « n’a pas besoin de ta voix (…) il réclame tes yeux tes like tactiles tes scrolls tes connexions ». Car « les objets te parlent entre eux ». Silence « considérable » que produisent les assemblées quand le docteur John O’Connor (par exemple) lance des alertes. Silence quand « les annonces des prochains remous sont maquillées dans les discours investisseurs ». Silence car « il faut rameuter du gros son chargé de mots rétrécis petits petits petits courbe-toi obéis ». Silence « dans les têtes occupées d’inattention », dans le « cerveau fléchi altéré », dans les « oreilles remplies de playlist », dans le « dialogue avec le programme », quand « miroirs et alouettes sont travaillés à être confondus ». Synonymes de programme : les analyses, les services, les planificateurs qui « naviguent dans la bureaucratie la peur l’avidité », la « propriété des propriétés » dont l’objectif est « surproduction pour surconsommation pour surnombre » et la conséquence « l’eau moribonde ».

 

            Comme les Amérindiens, Maxime H. Pascal colle son oreille au sol, la tend au vent, pour entendre les derniers bruissements, couverts par le silence bruyant, de la terre, de l’eau et de l’air moribonds. Nous leur devons la vie et la survie : « le plancton respire / le plancton te fait respirer / une bouffée d’oxygène sur deux t’arrive de sa part ». Quand « le fleuve Colorado n’arrive plus à la mer », quand « amputé d’embouchure il agonise » les Ute « ne peuvent plus appeler les eaux célébrer les flots consoler les eaux panser les rives bercer les sources la voie de la guérison dans leur langue est tarie ». Pour « les Zuni les Pima les Hupi » se serre « l’étau de la soif ». Quand les fontaines « toussent puis meurent / les sources tombent en panne / les vasières s’évadent / les sourciers s’épuisent / la température lance poignards et uppercuts / en direction des couches thermiques qui dégondent les contours / les turbulences des couches thermiques s’acharnent autour d’Alecto émaciée / elle marche dans la carcasse du silence cotonneux ».

 

            Alecto (l’Implacable), Mégairon la Mégère(la Haine), Tisiphoné (la Vengeance), sont trois Sœurs, déesses infernales, filles de Gaïa et d’Ouranos : les Erinyes. Maxime H. Pascal, dont le poème embrasse d’un ample mouvement, d’un seul souffle, espace planétaire et devenir humain, de Delphes aux Grands Lacs d’Amérique du Nord, d’Eschyle à Ginsberg, les reconnaît, engendrées par ce que nous avons fait de la terre et de l’océan. Inutile, désormais, de leur offrir narcisse, aubépine, safran, genièvre, sureau, fumées de cèdres, « elles sont debout / elles ne font rien / le pire est comblé / le pire est qu’elles ne feront rien / elles sont inflexibles / elles retiennent le verdict entre leurs os et leurs dents ».

 

            « Les questions suspendues flottent d’un arbre à l’autre d’un arbre à la forêt fantôme ». Un silence interdit suspend le dialogue chanté entre éléments et êtres vivants : « le vent a appris à chanter à l’eau » qui « enseigne les chants aux insectes aux grenouilles qui les apprennent à l’ours à l’orignal aux cerfs aux Nez Percés ». C’est « par le bruit » que « ça arrive », par des « sons irréfutables », une « étrangeté sonore », puis un crescendo « tellurique ascensionnel pétrifiant ». Heure par heure, minute par minute, un récit haletant : Fukushima. Le souffle du poème est celui d’une déflagration. Un chant, pourtant.

 

 

 

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