Ruminations du potentiel de Jacques Jouet par Éric Houser

Les Parutions

26 juin
2016

Ruminations du potentiel de Jacques Jouet par Éric Houser

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En pleine forme !

 

 

« Un À supposer… est un texte en prose (mais peut-être un poème en prose) composé d’une phrase unique très développée, initiée par la formule : « À supposer qu’on me demande ici de… » ». Cette contrainte devenue forme (donnant son titre à un livre publié en 2007 chez le même éditeur) a été utilisée par l’auteur notamment pour des situations de commande, où on lui demandait de réfléchir à tel ou tel sujet. Elle se déploie ici en une soixantaine de textes regroupés en dix sections, portant sur des thèmes divers : des écrivains (Proust - avec Cécile Riou pour les deux derniers textes de cette section -, Roubaud, Cortázar, Mallarmé, Flaubert), le théâtre, des choses (fleurs, paravent, huître), l’ouliPo (Po avec p majuscule, car pour Jacques Jouet c’est la potentialité ou le potentiel qui occupe la place de la locomotive, entraînant les deux wagons qui lui sont attachés), avec pour ce dernier une série d’essais parfois emportés, l’auteur souhaitant investir, plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent, le genre de l’essai. Dans une manière d’autoportrait, en réponse à la question « pour qui vous prenez-vous ? » Jacques Jouet dit entre autres qu’il se prend « pour un essayiste qui n’a pas encore beaucoup travaillé et pourrait mieux faire ».

Chaque texte, chaque phrase est une locomotive, qui entraîne le lecteur à sa suite, lequel lecteur ne lâchera pas (ni ne sera lâché), tant qu’il ne sera pas arrivé au point final. C’est un plaisir particulier que de se laisser ainsi entraîner, dans un premier temps sans trop chercher à dominer la syntaxe, à hauteur de mots, dans un second en perspective cavalière, juché sur un tabouret virtuel à défaut de cheval. Un poème en prose, sûrement ! si poème désigne minimalement, comme je le crois, une pièce d’écriture qui doit être lue au moins deux fois. Mais aussi, une proposition de pensée, qui peut dans certains cas prendre un tour polémique. Je pense à la rumination VIII qui donne son titre au livre (passant au pluriel), Rumination du potentiel. Dire que dans ce texte Jacques Jouet « règles ses comptes » avec la modernité ou le moderne (auxquels il oppose la potentialité comme alternative radicale), serait hâtif. Je suis surtout sensible, en le lisant, à une saturation affective, à une vibration, qui me provoquent et me déplacent. Le potentiel y est dit une pensée du transitoire, non de l’aboutissement. « Une œuvre n’est jamais ni le premier ni le dernier mot ni l’origine ni la clôture d’un art, mais rien de plus qu’une transition, ne pouvant, seule, être considérée que comme un moment passager entre là d’où elle vient, ses potentialités d’amont, et ce qu’elle peut nourrir, ses potentialités d’aval, c’est-à-dire qu’elle s’affirme en s’effaçant : la classe ! ».

­­­­­­Écrire, ça ne tombe pas du ciel, ni ne remonte de profundis. Ça ne se fait pas tout seul, à la fois au sens où des conditions (dans l’ensemble des conditions, les contraintes sont un sous-ensemble) sont requises, et au sens où on n’est jamais seul quand on écrit. Avec ce beau livre, Jacques Jouet en administre une nouvelle preuve.

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