Victor Rassov, L'Oiseux par Guillaume Artous-Bouvet

Les Parutions

15 nov.
2021

Victor Rassov, L'Oiseux par Guillaume Artous-Bouvet

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Victor Rassov, L'Oiseux

Oiser l’oiseau

 

L’adjectif oiseux, du latin otiosis, revêt en français un sens double : lorsqu’il qualifie une personne, il indique « qu’elle a des loisirs » ; lorsqu’il est attribué à une chose, « qu’elle ne sert à rien ». Mais l’Oiseux n’est ni homme ni chose : pure bête possédant « certaines qualités du moineau », il ne s’apparente à l’oiseau, toutefois, qu’à condition d’une paronomase. Rien de commun, en effet, entre le bas latin aucellus, qui donne l’oiseau, et otiosis, père de l’oiseux. Au bord double, donc, du loisir et de la vanité, l’Oiseux, majusculé sous son nom propre d’antonomase, prend toutefois dans L’Oiseux, premier livre de Victor Rassov – après un remarquable Cervelet publié dans la revue Catastrophes2 (2019) – quelque envol impossible. Cinquante-quatre sizains y articulent en tout cas la séquence singulière d’une chasse : « usant de stratégies vieilles comme pointes de sagaies, on tâchera de lui régler son compte » (quatrième).

Nous nous contenterons ici d’en répéter quelques remarquables étapes.

L’envol (p. 9), qui n’a pas lieu :
L’Oiseux ne s’envole. Circule avec
le sens tari sous sa membrure,
obscurcit seulement ce quoi.

 

Lourd de réfutations.
Dinde au pas d’accident
du désordre.

 

L’Oiseux, cette créature au « sens tari », n’asserte qu’à peine sa propre existence : réfuté aussitôt que paru, il hésite, au bord de la dissipation. Il signe donc quelque (p. 13)

 

Point d’énigme
en cette ornithique salaison.
Pur caprice du mauvais sens.
Aurait tendance à
s’annoncer
comme carcasse claire.

 

« Carcasse claire » en sa vacante limpidité, il ne cesse pourtant de s’inscrire (p. 21) :

 

Expose à qui
veut bien l’entendre
la condition de sa litote
Une seconde en solennelle présence.
Pas de secret chez le
canard loquent.

 

Étrange loquacité d’une énigme sans secret, d’une agitation animale et pourtant essentiellement soustractive. C’est que (p. 28) « L’Oiseux triomphe / du signe / auquel il se mesure » : nul discours ne saurait maîtriser l’affront solennel de la bête qui s’ajoute en « ajours » surgissants au gras même du « réel » (p. 52) : « c’est la couenne, le ciment gras / du réel qui subit ces ajours / comme autant / de fiorituriques / vengeances ». En exception, dès lors, au monde comme au poème qui prétendait en rassurer l’évanescence (p. 62), « L’Oiseux ne s’efface. Gourd / des rémiges alors / il tombe, / de corbe en serin / creuse une ascension dans la ramure / et toc ». L’onomatopée signe la fin : chute, apparemment (« il tombe »), mais dont la catabase « creuse une ascension » : ainsi sans doute, et pour revenir au début, « l’Oiseux ne s’envole » mais « circule », animal infusant le désir d’une parole un tout petit peu moins qu’oiseuse.

Le poème peut-il faire advenir le corps mat de la Bête ? Peut-il accueillir le réel de l’oiseau ? L’Oiseux, récit d’une « traque […] avec ce que cela comporte de rêverie et d’errance, de longs aguets sous les taillis » (quatrième) marque le lieu de cette inquiétude : scripture risquée où ce qui se promet d’un corps tremble sous le nom (presque propre) de son oisiveté.

 

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