Nous vivons sur une île/ Je peins la mer par Patrick Beurard-Valdoye

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

Nous vivons sur une île/ Je peins la mer par Patrick Beurard-Valdoye

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en tout cas se colporte le bruit que ce Schwitters apaise et la tribu des aliénés réclame un récital du bouffon du gagman jusqu'ici réservé aux artistes, jusqu'ici la communauté s'est unie autour de la musique classique voici que le parc naturel sociologique s'agrège autour des arts poétiques c'est sans appel et d'avant-garde s'il vous plaît Kurt autant comblé qu'inquiet de l'impact du récital redoutant les railleries et huées contrées naguère avec combativité, sans compter qu'il doit déclamer par cœur Anna Blume, la Loterie du jardin zoologique car privé de livres et en anglais : Eve Blossom lentement lentement projectiles floraux poèmes à bégayer, mollo ma non troppo, le New Hall pas fini à l'abri contre mur d'enceinte derrière les bains-douches et la laverie est une enceinte acoustique stoppant ( en dépit du manque de plâtre aux parois et de l'absence de cloison et même de porte ) les fréquences des agressions extérieures et celles des angoisses fréquentes : SILENCE SILENCE
et la Sonate aux sons primitives qui va réveiller l'utopique harmonie des langues primitives babéliennes, le fils va la déclamer à la face du monde pour apaiser l'âme de Schwitters-le-marchand-de-confection ( pour dames ) fils de Schwitters-le-cordonnier fils de Schwitters-le-boucher fils de Schwitters-le-boucher-veuf, il pense à sa mère Henriette qui lui a transmis ce talent de narrer il sent Helma tout contresur les planches sans podium, en costume gris rayé, installé suffisamment dans l'obscur sans arrière-plan pour que sa voix illumine la communauté Kurt se jette dans la foule ( J'ai la voix qui va ) SCHERZO : prise de rires fourires quelque ballaman murmure au voisin C'est quoi cette langue ? «a veut dire quelque chose ? quelques uns aimeraient savoir s'il a appris ça par cœur ou s'il dit n'importe quoi et les musiciens ballottent entre musique et poésie : il a le son des mots mais la réalité n'est pas derrière
imperturbable voix de ténor du tonnerre ( expression d'enfant aux anges ) voici la communauté captivée tenue en haleine plus de bruit de chaise, le chant d'enthousiasme purge les transports d'angoisse le rhapsode tranquille et coulant éblouit, sa catarole incarne la joie du devenir, les ballamans ne veulent rien perdre de cette langue des oiseaux qui se dévoile d'avant les mots et dévoile un secret, une vérité immédiate qui communique entre la communauté et l'aurore des lieux : entre l'aujourd'hui et le paradis perdu.