Le philosophe spéculatif, le témoin intelligent et le prêtre suisse par Éric Houser

Les Incitations

18 sept.
2009

Le philosophe spéculatif, le témoin intelligent et le prêtre suisse par Éric Houser

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(H, saxophone - K, piano - Z, basse)



à partir ou autour de Petit éloge du catholicisme, de Patrick Kéchichian



C'est en écoutant en boucle un morceau d'Anthony Braxton, Lennie's Pennies (extrait de Eight (+ 3) Tristano Compositions 1989 - For Warne Marsh) que j'entame ce texte inspiré par quelques lectures récentes et concomitantes, au centre desquelles celle de ce Petit éloge du catholicisme, de Patrick Kéchichian, déjà présenté ici même par Pierre Le Pillouër. Disons que ce morceau me communique un peu de son énergie, que j'en recueille quelques (sonnantes) piécettes. Mais pourquoi, quel rapport ? Qu'est-ce qui vous prend, Houser, d'annoncer que vous allez parler d'un sujet, et aussitôt d'en parler d'un autre ? Ah mais pas du tout : du rapport, il y en a toujours ! Figurez-vous, par exemple, que dans le petit livret accompagnant l'album, Braxton écrivait "My music / music system was not built in negative reaction to the tradition - it was inspired "in affirmation" of the tradition". Et voilà : "music system" (Hegel, le philosophe spéculatif, l'un des personnages de mon trio, est-il ou n'est-il pas l'homme d'un système ?) ; "in affirmation of the tradition" (ces deux mots ne consonnent-ils pas, un tout petit peu, avec le mot "catholicisme" ?) ; "it was inspired" (l'inspiration, ça ne vous dit vraiment rien ?) etc. La tradition, ici, est condensée dans la figure de Lennie Tristano (pianiste et compositeur de jazz américain, né le 19 mars 1919 à Chicago, mort le 18 novembre 1978 à New York, d'une importance capitale pour le "nouveau jazz" - quasi aveugle dès l'âge de dix ans, il était fasciné par la musique de Bach). Le titre Lennie's Pennies est un standard.

Le catholicisme est un standard. Est-ce si sûr ? Nous voilà retrempés, en tout cas, par le petit éloge éponyme ("L'adjectif petit n'a pas pour fonction de relativiser l'objet de l'éloge mais accorde à son auteur une sorte d'excuse et de licence : celles de n'être pas à la hauteur de son objet, de le convoiter avec ardeur et constance tout en sachant ne jamais pouvoir le posséder"), "dans la dure et si pure tradition des Provinciales" (Pierre Le Pillouër), sauf à ajouter que le contenu du livre de Patrick Kéchichian n'apparaît pas précisément pascalien, et que le contexte de sa réception n'a bien sûr rien à voir (je doute que son livre ait autant de succès public que son prédécesseur...). Mais dure et pure, oui, je suis d'accord. PK ne (se) fait pas de cadeau, tout en nous en faisant un.

J'annonçais deux comparses : H et Z. H pour Hegel, Z pour Zundel (K pour Kéchichian, vous l'avez compris). Hegel, tout le monde connaît (enfin, de nom) ; mais Zundel ? Maurice Zundel, oui. 1897-1975. Inconnu au bataillon ? Obscur petit prêtre suisse ? Pas du tout ! Demandez en milieu catholique : tout le monde connaît (bien mieux que Hegel). Camarade de classe de Piaget, ami de Du Bos et de Massignon, Paul VI en était fan. Très cultivé, original (localement, il n'était pas en odeur de sainteté), d'une générosité absolue, Zundel a semble-t-il marqué un grand nombre de personnes, et pas seulement à Genève. Sa thèse de doctorat en philosophie porte sur l'influence du nominalisme sur la pensée chrétienne. Cela ne vous dit toujours pas ce qu'il vient faire ici, sur Sitaudis. C'est bien simple : en même temps presque que le livre de Patrick Kéchichian, j'ai lu un livre de Maurice Zundel (Fidélité de Dieu et grandeur de l'homme, de 1973). Même chose pour Georg Wilhelm Friedrich Hegel. J'ai aussi lu (relu, plutôt) la thèse secondaire du philosophe Claude Bruaire (Logique et religion chrétienne dans la philosophie de Hegel, de 1964), et spécialement les chapitres intitulés Les principes de l'église chrétienne et Dialectique de la Réforme et conscience malheureuse du protestant. Tout à fait passionnant, je vous assure, pour peu que l'on ait un minimum de goût et de patience pour l'étude.

Le personnage du témoin intelligent n'est pas un personnage, justement. La même remarque vaut pour les deux comparses de cette session improvisée. K, au piano (jeu précis, sobrement orné) soutient le chant, discrètement, avec constance, rigueur et charme. C'est un pianiste qui ne se la joue pas. Au saxophone (alto), H : un jeu péremptoire, "conceptuel" (forcément). A la basse, Z : jeu spirituel, franciscain je dirais. Et la batterie (drums) ? Chers lecteurs, je compte sur vous.