Dehors Jésus, Charles Pennequin par Christian Prigent

Les Parutions

06 avril
2022

Dehors Jésus, Charles Pennequin par Christian Prigent

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Dehors Jésus, Charles Pennequin

 

Charles  ⊂ Charles

 

 

 

Dehors Jésus est du Pennequin tout craché : prose ultra-rapide. Magnifique de rythmicité enragée et enjouée, haletée, brutale.
Cette prose est poétique : elle prend au corps. Elle s’éprouve sensuellement. Elle ne supporte pas la lenteur  dématérialisée, l’apaisement syntaxique, la pose des phrases dans les pauses de déchiffrement pensif.
C’est à prendre ou à laisser : le texte impose sa vitesse, sa bousculade, son comique. Il force à marcher à son pas — ou laisse interdit, aphone, inapte à parler cette langue (et donc à comprendre quoi que ce soit de ce qu’elle raconte, décrit, pense).

 

Pas besoin, pour cela, d’entendre Charles lire en live. On peut s’entendre soi lisant, prononçant, contraint par la volubilité du phrasé. Si on ne s’entend pas le faire : aucun accord avec le projet, résistance au propos — mieux vaut laisser tomber.

 

Dire que ce texte s’éprouve, s’entend, se psalmodie physiquement ne veut pas dire (veut dire d’autant moins) qu’il ne dise rien.
Il ne cesse de dire, au contraire : de former des représentations, des scènes, d’amorcer des récits. Il  rumine du politique, ressasse des morales burlesques. Il fait surgir, version foutraque, des bulles d’aphorismes. Il s’ouvre, goguenard, aux opinions de bistrot.

Et une flopée de personnages défile. Ils ne sont pas de ces héros (même dévalués, beckettiens, zéroïfiés) qui donneraient un corps spatial et une logique temporelle à la fiction. Plutôt des concrétions, des synthèses, ponctuellement surgies et assez vite congédiées, de l’espace social et du temps historique dont ils sont les représentants. On voit alors se former des tribus à la fois pathétiques et drolatiques, ravagées par la vie, démolies par l’exclusion, la marginalité ou la misère, perdues, éberluées de leur propre vie — mais rigolardes, solidaires et riches d’une invention verbale inouïe.

 

La subjectivité forcenée de Pennequin porte en elle l’objectivité et la pluralité d’un peuple, d’une longue théorie de gens. C’est une âme de foule. Cette puissance de foule est à la fois ressouvenue (l’enfance) et bouffonnement magnifiée au plus présent du présent. Bien au delà de la subjectivité des sentiments et des opinions du sujet qui écrit, elle est ce qui donne leur densité et leur élan aux paroles et paraboles du Jésus Pennequin et qui conditionne la vitalité de ses interpellations à notre foutu monde.

 

À part : les pages sur Péguy.

 

« Sur » ne va pas. « Avec Péguy » irait mieux. Voire : « dans » Péguy. Charles (Pennequin) sort comme un bébé sanglant et braillard du ventre obsessionnel-mélodique de Charles (Péguy). Péguy renaît tout chiffonné d’accélérations, bouchonné rudement, secoué pour qu’il crie, dans la faconde tonitruante de Pennequin : cap au pire !
Pris isolément (arrêtés sur image), bien des énoncés ne sont que des assertions plates, au bord du gnomique (gnomique troupier). Mais la vérité (la justesse, l’effet de réel, la sensation d’un monde effectivement éprouvé) n’est pas, comme souvent (toujours ?) en « poésie », dans ces grumeaux de signification. Elle consiste, s’incarne, fait « sens » dans le mouvements rythmique lui-même, l’enchaînement psalmodique, le constant passage des déchirures (de l’énoncé) à leurs rapiéçages (par l’emportement de l’énonciation) : cette alternance de déliaisons et de liaisons que souffle et ne laisse jamais souffler la vitesse de l’élocution.

 

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