"désastre ravalé/ravaler désastre", de Nicolas Grégoire par Christophe Stolowicki

Les Parutions

29 mars
2022

"désastre ravalé/ravaler désastre", de Nicolas Grégoire par Christophe Stolowicki

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Tant en vers qu’en prose, de syntaxe mâchée mieux que des vers, avec un sale goût dans la bouche (« je n’arrive plus / qu’à souhaiter qu’il meurt vite / vie gâchée jusqu’au bout »).

 

Le titre dialectique volontairement laborieux annonçant, décrivant au plus juste l’opus.

 

Sur très beau papier passé jauni sous sa couverture blanche, entre préface, carnet de notes pour un deuil annoncé en vers heurtés que précèdent et suivent quelques proses, puis le carnet en miroir des gribouillis au plus parlant de Pauline Emond, miroir d’anamorphoses dont le papier épais assure un effet de décalque d’un temps pis que perdu, et les quelques pages du journal des derniers jours, un livre irréfutable – douloureux d’être aussi conçu. D’arte povera de fond en comble(s), plus d’un demi-siècle après que l’art pauvre a déferlé.

 

Sans chagrin mais non sans déréliction, un deuil anticipé, prescrit comme une ordonnance, prescrit comme un crime répété dans des vies antérieures : À « l’hôpital […] Ils m’ont expliqué sans drame dans la voix : “ sa mère est en crise, elle ne dit qu’avoir chié”. Elle a donc chié un enfant que je n’ai pas voulu dans une vie où je ne tiens pas », en confusion salutaire des personnes d’un impossible singulier que seule affiche sinon résout l’inversion des générations.

 

« Je gribouille. Table dehors et bruits. Tout ça porte mes échecs avec lui […] Mise en tête, on penserait bien déjà mise en terre d’écrire […] « papa a cette bouche de cadavre qui porte à elle seule tout / l’effondrement qui nous lie / je suis face à un nœud qui résiste alors / le dire et / le redire encore ».       

 

Deuil d’un père qui ne fut pas père, qui s’achève, jeune encore, à la bière, le foie rongé : « la main sur le carnet […] face au corps couché sur le canapé gris, traînée grasse au niveau de sa tête […] la mort dans quelques jours. »

 

Un deuil qu’anticipent déjà, appellent plusieurs titres d’une bibliographie têtue : s’effondrer sans (2017), face à / morts d’être (2014), ses restes / en somme (2011), voire boucle ça (2009), et ceux d’un Monsieur Teste – travail de dire (2019), d’être et de tête (2014) – que séparent de Paul Valéry le temps rudement écoulé et la psychanalyse de Winnicott, celle que relève Marc Dugardin.

 

« la main heurte / l’incapacité de dire »

 

« mots amorces / d’une reconstruction lente »

 

Bon courage.

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