Dualités, de Jean Yves Cousseau (photographies) et coll. par Christophe Stolowicki

Les Parutions

18 avril
2022

Dualités, de Jean Yves Cousseau (photographies) et coll. par Christophe Stolowicki

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Dualités, de Jean Yves Cousseau (photographies) et coll.

 

Dualités : un très beau livre lourd à deux temps, ceux de l’image et de l’écriture, poèmes d’abstraction littérale et images sensibles appelant l’abstraction ou l’illustrant au plus près, à chaque temps réservée une double page – plus encore par le rythme binaire des deux volets du retable des photographies. Celles-ci s’appariant s’opposant d’ajours en contrejours, de positif / négatif alerte, surexposées d’un soleil au cœur ou donnant à palper de la matière visuelle au plus près de sa texture, de ses rugosités, de son ombre talonnant le réel ; de photomontage tel un poème ; d’un beat aux deux temps d’un positif encore plus positif dans l’éblouissement.

 

Dualités. En regard d’un trou de flaque dans le bitume roux fendillé, le trésor d’un atoll apposé sur fond sylvestre tel un crachat de lune. Le corps de pierre d’une enfant dodue de fente infime face au trou noir rocheux de quelle matière pétrée de rouille. La surimpression du marbré sur le charnu (masculin) se délitant page de gauche dans le déroulement sur le bitume d’une bande de papier verdoyante. Le dialogue de parafes lâchés sur l’asphalte, l’un éclairci de feuilles mortes. Frise à quatre strates de gloussement visuel, page de gauche l’agrandissement d’une en zoom avant. Un pinceau de peintre plâtrier s’essuie sur l’icône qui, en regard, n’est que l’assaut de la nue aux fenêtres. Un flux marbré s’écaille en pétales rongés roux. Un fond grumeleux que signe un virulent gribouillis ouvre en vis-à-vis une fenêtre noire sur une petite feuille ravagée par le temps. À chaque arrêt sur images, à lire de dextre en senestre comme un livre hébraïque.

 

Dualités, mais en grand écart de registres, tel parmi les boppers Sonny Rollins, tout en citations intempestives.    

 

Du duveteux douillet souillé de débris de brindilles. Le sylvestre récurrent, le dépoli du verre. Le parcellaire, le plein biais, le hors champ. Les buées en relief, de spasme immobile. La ville cadrée à mi-jambe, les jambages amnésiques des consonnes du corps urbain, le jazz tout en plans rapprochés des ultimes séquences des derniers films d’Alain Resnais.

 

La trame à vif, le quadrillage interstitiel.

 

La plupart des poètes ont choisi des images impressives, Carole Darricarrère un vrai corps de récit. Avec Cousseau elle survole, quand se dissipe la mer de nuages, les déserts de terre et de mer, ceux-ci que ponctuent quelques voiles, jusqu’à l’immense ruche humaine clignotant pleine page d’une ville qui peut être d’Asie. Quelques bribes du profil blond de l’élégante voyageuse ponctuent cette traversée. Celle d’une vie en avion, à vitesse supersonique sinon celle de la lumière. Plusieurs films ici s’abrègent en « cul de sac lumineux », au « grand angle » d’un pan de ciel. Le parafeur en pare-feu agrafe le meilleur de la vie des anges, d’une anche de saxo ténor. D’une hanche qui appelle « le climat blond » des saints en rappel de « l’enfance de l’âge ». « Escale entre toutes / l’îlot humide / d’un visage / averse d’un supplément de ciel » ; « le ciel […] / antienne de l’esquille ». Aucun poète au masculin – sinon Rimbaud peut-être – n’écrirait cela.

 

Une distance qui surplombe – et revient comme un missile au plus vif du sujet : poésie du vécu, de l’intensément vécu. La vie exposée exposant n. La vie surexposée comme une photographie de Jean Yves Cousseau à l’envers d’un trou noir.

 

« Tropique de la trace […] / éternité datée / le salto arrière / d’un nuage après l’autre // aussitôt rien // Pneumatique du peu » ; « la vision cutanée » ; « il penche / népal de mauve / pays en soi / bascule d’une blondeur / dans le livre ». Les ellipses que l’on devine réinventent la syntaxe au plus serré. Une syntaxe plus essentielle naît de la métaphore.  

 

Claude Ber dont le titre matérialité dit toute l’essence de l’art de Jean Yves Cousseau confirme ici le paroxysme d’intelligence qui fait d’elle, un siècle après, une Madame Teste aussi mallarméenne première période que Valéry mais plus sensible. Son « visage penché sur un pan d’absence découpé au carré de la vitre », francisant en « adynata » les impossibilités de la (sous-)philosophie grecque, quand « un trait de nuit et sa lumière tracés par le couchant pincent en serre-livre la transparence de l’air ». Son poème coupé d’images construit en alternance sur le pur Que rhétorique de Bossuet  et celui qui me fait pleurer d’émotion dans les deux infinis de Pascal.

 

De Claudine Bohi, psychanalyste et poète, « une aventure étroite / dans un sommeil fermé », « la lente fenêtre / et sur nos rêves / cette absence de signes // cette frontière rude ». Ses doubles pages n’hésitent pas à redoubler la dualité sur deux colonnes, page de gauche et de droite en alternance. Sa poésie pensée au plus évanescent.

 

Claire Le Cam célèbre et hante la ville à même les plaques d’égout luisantes d’un « singulier pluriel » social. Catherine Jullien égrenée vive, Sarah Clément épure le sonnet.   

 

Jean Yves Cousseau a élu ici de féminins poètes. Je découvre sur Wikipédia que poétesse était déjà contesté et désuet en 1723.

 

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