Henri Abril, Ratures et dérades 2017/2021 par René Noël

Les Parutions

04 juin
2022

Henri Abril, Ratures et dérades 2017/2021 par René Noël

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Henri Abril, Ratures et dérades 2017/2021

L'arc, la vie

 

Les poèmes d'Henri Abril ont l'expérience de la liberté intégrale pour mémo, soit les constellations des poètes face au ciel nocturne, Gérard de Nerval et Nina Iskrenko en éclaireurs des passages d'une éternité l'autre, parmi les couloirs, interstices souterrains où respirent les souffles des langues ne cessant de se mêler. La poésie, énergie, vie, ne se limite pas aux logiques distributives, aux salles des machines de la langue qui localisent et expédient les actions humaines vers demain, hier et aujourd'hui. Le bios, la vie prise ici de trois-quarts de siècle du poète, tire ses flèches d'un espace toujours nouveau, aussi vert qu'à la naissance, à l'image de l'acteur du Septième sceau de Bergman face à la mort sciant le tronc de l'arbre sur lequel il s'est réfugié, qui ment effrontément à celle-ci qui le gourmande, Qu'a-t-il encore à prouver / lui dont il ne reste / qu'un papyrus strié de rides, une peau indolemment lichée / par les dieux de l'inessentiel. (p.119), car s'il est bien connu que la mort, nous n'y sommes pas habitués, où en serait-elle sans naissance ?

Glyphes, pierres végétales humaines, Cœur ébloui, lèvres à vif / clameur tentaculaire, / venant couvrir le pathos / d'un macrocosme hors de portée, (p.4) Abril unit le nom et l'action neufs, non plus guidés par le dehors ultime, la poésie limitée alors à trouver des formes à l'intérieur d'un donné immuable dont seules les compositions et les formes varient, ont des nuances, le dehors des dehors d'un monde fini ou infini, innommable ou encore tenant à bout de bras tous les noms de lieux possibles et imaginables, ce qui n'est pas rien, le presque rien des philosophes, mais attiré par les densités, les énergies, les masses et leurs extériorités novatrices, zéro, chaque poème base concrète de mondes souhaitables.

L'homme est maître de son destin, mais / le temps fourbit en lui une étrange litanie / de paroles stagnantes, / de syllabes sans cesse en friche (p. 25) l'éden, le sablier, le rêve trop étroits miment en automates accomplis les actions du jour, réitèrent à l'identique les réflexes désapprouvés par celui qui les porte, impuissant à stopper à mesure qu'il se voit les réaliser les étapes de ses gestes, stries physiques et mentales qu'il sait hors de saison, dont il connaît l'échec assuré. La lenteur de la vérification par les faits contraints de réaliser cette défaite en règle, soit sa réussite, entre en collision avec la clarté fulgurante du diagnostic. Ainsi n'y a-t-il rien d'inadmissible dans les vers de Henri Abril plus larges que toutes formes et idéographies, tels quels des mots valéryens toujours recommencés. Le statique tectonique étranger aux rythmes, au mouvement, terramoto peint par Jérome Bosch, existant bel et bien, se fissure, les cycles se font bases volcaniques.

Assis dans son fauteuil, très loin de toutes lassitudes en dépit des jambes inertes, Véniamine Blajenny ne vit-il pas dans l'alignement des antistrophes / orphelines du troupeau (p. 129), la quiétude d'un ciel oragé qui surprend l'inconnu et l'invisible grimés de gris, la capture du monde atone récusée ? Hors l'hérésie, toutes croyances littérales et toutes idéologies bloquées sur le nada irréel, ne relèvent-elles pas de l'obscénité ? La poésie ne fuit pas, mais modifie l'exercice de torsion des lois humaines contre-nature, n'en obéissant pas moins aux retours cycliques imités des saisons, Je me regarde désormais m'en / aller, comme on voulait jadis / que soient reniées palinodies / et panoplies de l'âge arborescent / laissée la défroque des saisons / aux sempiternels barbares (p. 3). Lorsque tout vient du chaos, les cailloux, les pierres conçues, gagnées sur l'inhumain, ne sont jamais perdues, ciel biélorusse, Lutte profane, fratricide, où l'on se sait vaincu / avant d'avoir senti pousser en soi / la chair et les reflets d'autrui (p. 129), Mais derrière son regard, / les saisons de cassis / et groseilles à maquereau, le sens oublié des glossolalies hassidiques / qu'il avait déchiffrées en rêve. Henri Abril glisse alors sur le manteau terrestre jusqu'aux bords, là où de tous côtés les étoiles abondent, jusqu'à l'éther d'un oui à ce qui fait se lever les morts / avant que ne roule / par-dessus eux / la nébuleuse fraternelle des galaxies. (p.150).

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