Louis Zukofsky, Arise, arise (théâtre) par René Noël

Les Parutions

06 sept.
2022

Louis Zukofsky, Arise, arise (théâtre) par René Noël

  • Partager sur Facebook
Louis Zukofsky, Arise, arise (théâtre)

Un égal quatre

 

Le théâtre est-il rare ? 1936 = 40, soit 1 + 9 + 3 + 6 = 1, 40 = 4, soit 1 = 4. Toujours est-il que Louis Zukofsky, matérialiste conséquent, observe les passages, les traductions mutuelles des chiffres et des lettres et écrit l'unique pièce de théâtre sortie de ses mains, reprise sous une forme modifiée dans " A 24 ", l'année du front populaire, Arise, arise, à l'âge de 40 ans. 1 = 4, soit l'objet, sous tous ses angles. Restitution d'une physique quantique en mots musicaux, car il faut savoir, la sensibilité du poète baignée par les Fugues, la Passion selon saint Matthieu de J.S. Bach et les élans, rapports physiques et de production gravés dans les paysages urbains, les usines, les journaux, les quatre éléments, les rues de New-York et la famille nucléaire élargie dans l'Histoire, thème et décors de cette pièce qui ne sera publiée et jouée que plusieurs décennies plus tard, du vivant du poète, toutes précisions par ailleurs écrites dans la postface objective du traducteur.

 

Double, symboliste, expressionniste, existentiel, le théâtre a peut-être cette vertu naissante aux yeux de Zukofsky, aussi bien que la lune plus tard dans sa poésie, témoin, virgule, retenue dans les divisions, preuve, marque et contremarque, esquisse d'un cadre, losanges, bas-reliefs, plaques de cheminées, sculptures de tombeaux, soit les peintures de scène, de construire un ciel et un horizon, une caméra propre à stabiliser l'objet sans couper net ses élans, ses mouvements, dans le hors cadre, l'invisible. Zukofsky écrit en plan moyen : 238 Si les chevaux pouvaient seulement chanter Bach, mère, - , 239 Souviens-toi combien je l'ai souhaité -, 240 Maintenant je t'embrasse toi qui ne pus jamais chanter Bach, ni lire Shakespeare., note-t-il quatre ans avant l'achèvement d'Arise, arise, dans Le poème commençant par " la ".

 

Plan intermédiaire, mesure sur mesure, le pouce et l'index d'un cinéaste, œilleton où celui-ci observe les volumes et les contrastes, l'intensité et la vitesse de la lumière, les distances des personnages entre eux et les paysages où ils évoluent. Un souffle fait de capacité thoracique, des cinq sens et de leurs constellations en sommeil, dans le rêve, dans l'intellect, l'étendue en forme d'objet en mouvement pousse bientôt l'imagisme vers le monde nouveau irrésistible. Le refus de ce dernier par son ami Ezra Pound, du même type que celui des soviets thatchériens contre lesquels Albion se dresse de nos jours, est un non-sens, diraient les deux Jacques, Bouveresse, Roubaud, une impasse aux yeux du poète new-yorkais aussi bien en un sens poétique, philosophique que mathématique. LE COUSIN (la tire par la manche, fait des pantomimes lui intimant de garder le secret) : Mamm... m... m... m... Les économies de qui ? Quelles économies ?! (Elle fait des pantomimes, le repousse.) (p. 75), proche ici, se dit le lecteur, de la danse des petits pains de Charlie Chaplin, et plus bas dans le siècle vingt de Zanzotto qui salue Monsieur Verdoux du même filmeur satiriste anglais, dans Idiome.

 

Il y a dans tout dos tourné au changement de la part d'hommes de bonne volonté, une énigme abyssale, absurde aux yeux de Zukofsky né sous le signe de l'enthousiasme, de la jubilation de la découverte, du don de citation généreux qui est le miel des poètes, de Walt Whitman et de William Carlos Williams. Et quoi de meilleur pour toutes les époques du temps, autant que pour l'ego le plus étroit, que de porter les paroles, les tirades, les vers antérieurs dans ses propres rythmes ? ainsi que Montaigne et Rabelais le pratiquent, dans la précision des poursuites, des éclairages des scènes de théâtre aussi bien. La minutie des descriptions de décors et didascalies d'Arise, arise, participe de la poésie objective, utopie de Zukofsky, car il faut savoir, où la sensualité et la rigueur élaborent une langue qui ne perd rien de ses pouvoirs aussi bien qu' " A 7 " voit les chevaux de bois échapper à leurs cercles et être cavales libres et écrites, tout objet fait de ces deux réalités aussi concrètes l'une que l'autre, évidences sensibles et conceptuelles de sa poésie.

 

L'abolition du futur, du devenir, de l'avenir, et de son passé révolutionnaire et communal français, sont aux antipodes de ses inspirations qui le poussent, lecteur original, inspiré, de Marx et alors que rien ne va plus, ni de soi, ni du monde, à l'inventaire du chaos, des possibles, Arise, arise lieu du continu non linéaire, imprévisible, de l'objet, où les personnages échangent leurs liens de parentés, mère, fils, père, fille, serviteurs..., leurs sensations sur la scène armée d'un double rideau, l'un du rêve, l'autre de veille, de morts en vies, de vies des morts, de morts et de vivants échangeant des pensées l'un près de l'autre, soit une rose des vents physique et mentale inédite où les liens de parenté évoluent, se substituent les uns aux autres. Un effet Strindberg, Bergman, solaire spectral ici, à cheval sur deux continents.

 

Zukofsky initie alors avec les paroles d'une fratrie solidaire, passée la double ligne des océans et de la vie, de la Dogana, une loi des intervalles de son temps, série d'écarts et de rythmes entre les rimes de mots et de sens inédits, creuse et détache du matériau une objectivité où le sujet sort de la paralysie du tout vaut tout, Déposé sur la terre, et d'où ce qui dort (se lève) se réveille. (Bâille.) Ai-je échappé à la mort du sommeil ? (Il se gratte la tête.) En voici une pensée insidieuse : à présent comme une lampe de poche sans importance sur la route, court-circuitée, avant le lever de l'aube bleue. Quoi de neuf, Chiffon, dans la mémoire de qui suis-je ? (p. 105)

Retour à la liste des Parutions de sitaudis