Photos de famille d’Éric Pessan par Christophe Stolowicki

Les Parutions

20 mai
2020

Photos de famille d’Éric Pessan par Christophe Stolowicki

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Photos de famille d’Éric Pessan

Au livre entrepris à partir de photos de famille (entre autres) que l’on ne verra pas, pour égrener du souvenir et peut-être se reconnaître, l’intelligence en chausse-trape oppose assez vite une résistance : « les photos sont traîtresses / elles poussent les souvenirs dans l’ombre […] // dans nos esprits elles finissent par s’imposer plus nettes que le souvenir / dont elles sont supposées garder trace // au fil du temps / j’ai pris de moins en moins de photos […] et si ma mémoire oublie / déforme / confond / tant pis / ce processus-là – au moins – m’appartient. » En exergue une citation de Barthes abonde dans cette mise au net. Prolégomènes en partie savamment décalés, intempestifs.

 

Aussi, pour ses commentaires aussi prosaïques que possible, Éric Pessan, romancier d’abord (mais aussi dramaturge, et auteur de poésie jeunesse) adopte-t-il, selon l’usage contemporain, la forme, mais la seule forme de la poésie, ponctuation le passage à la ligne fréquent, quelques rejets, en fin de chute le point final. Le rythme efficace (« Fernande toujours occupée / à gratter la terre / à biner / piquer sarcler planter émonder désherber cueillir / et son rire aigu / quand elle criait / n’avoir jamais mis de culotte de sa vie ») lève une musicalité – de musique de film, ceux peut-être de Claude Sautet des années soixante-dix, signée Philippe Sarde. La poésie : un raccourci pour dire le temps perdu en retenant le coup de sonde, qui mènerait trop loin. Barthes dit bien que la photographie n’est pas proustienne.

 

Cela dit, tout ici est sympathique. La culpabilité de revoir le chien aimant qu’il a fallu piquer parce qu’il a fini par mordre le voisin mauvais, les parents le laissant montrer les crocs sans répliquer eux-mêmes. L’acte manqué sur la photographie en communiantes de sa grand-mère et de sa grand-tante, la préférée de leurs parents qui ont gravement lésé son aïeule, laquelle « pour ôter je ne sais quelle salissure [...] a pris une éponge / l’a imbibée de je ne sais quel détergent / et d’un seul geste / a gommé la moitié de son propre visage ». L’aveu que jeune homme pris par les livres il ennuyait les filles – son grand amour lui réservant le rôle de confident. Devant « une photo de l’enfant que j’ai été […]/ celui que je vois / c’est l’objet de ma mère / sa chose docile / et sans volonté / celui qui avait capitulé // […] tout rappelle ma mère / c’est son visage à elle qui affleure à la surface / de l’enfant », me remonte l’image plus serrée de quelques crans par Proust des traits du fils profanant le visage maternel.

 

Anecdotes dessalées de leur piquant anecdotique par la prise de vue au large sinon grand angle (le court instant où quand « le bus franchit le fleuve la ville s’entrouvre […] / offre un horizon par où les nuages peuvent s’empiler », celui encore plus bref où un fou au volant a failli le tuer), les instantanés de sa vie récente remplacent les vieilles photographies à questionner. « Un pas / perdu / une chaussure à boucle / un peu vieillotte / sabotage d’ombre / la chaussure n’a rien à faire sur ce sol […] // le pouls des sous-bois ». 

 

Delphine Bretesché, fine guêpe, accompagne l’ouvrage de quelques coups de crayon, d’un bric-à-brac pêle-mêle de vie ordonnée par l’écriture.

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