Wolfgang Hermann, « Monsieur Faustini part en voyage » par Carole Darricarrère

Les Parutions

01 sept.
2021

Wolfgang Hermann, « Monsieur Faustini part en voyage » par Carole Darricarrère

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Wolfgang Hermann, « Monsieur Faustini part en voyage », ?

 

« Un livre ne doit pas ajouter à l’opacité du monde, mais lui apporter tout au contraire un surcroît de lumière et de clarté. »

En cette rentrée d’automne 2021 propice aux voyages par la pensée, nous arrive d’Autriche un récit philosophique malicieusement régressif, servi par une traduction lumineuse, dont on parierait que son auteur a pris grand plaisir à le commettre et la lecture, une fois achevée, nous laisse avec le sentiment d’avoir fait mine de rien un fabuleux voyage dans un temps délicieusement arrêté à la source de la nostalgie dans l’intimité de contrées dont on se réjouit qu’elles résistent un tant soit peu à la loi du changement.

Si chaque livre peut être entendu comme une invitation au voyage, lire offre ici de s’aventurer dans les espaces intermédiaires pleins de ressources du temps de la lecture, l’esprit bien campé dans la lenteur, chaque phrase dans sa plénitude jouissant d’un coefficient de pénétration équivalent est une incitation muette au voyage ; par un effet de tuilage, chacune dans son altérité vient mourir à vitesse égale au point exact où commence la suivante ; chacune, en vertu d’une évidence simple, concourt à un doux sentiment de ressac qui participe d’un mouvement, s’affûtant les unes les autres avec une égale dextérité.

Monsieur Faustini, petit-bourgeois besogneux sublimement banal, figurant candide et sans ambition, souverain de son existence bien réglée, homme vertueux s’il en est vivant satisfait dans l’anonymat le plus pur, est le fruit de l’invention d’un personnage que l’on dirait tout droit sorti d’un rêve de naphtaline  – « Monsieur Faustini avait fini par ne plus faire qu’un avec son veston. (…) Son veston était sa demeure, son repaire. Sa carapace, sa livrée de paon. »

Personnage à la bonté décalée, porteur – sur les traces d’un certain Monsieur Hulot – d’un fort potentiel poétique et marqueur d’une espèce discrète en voie de disparition – les oubliés anonymes –, cet homme effacé que d’aucuns tiennent « pour quantité négligeable », n’en réserve pas moins, à l’image de l’eau qui dort, bien des surprises.

Il y a justement, dans la vie abstraite de Mr Faustini, entre la pantoufle et le chausson, le ronron et le train-train, un lac beau comme une métaphore, la paix sans fond d’une vie arrêtée, des désirs refoulés, la peur et le défi de les vivre, le signal prévisible d’une transcendance nécessaire et imminente ; et pêle-mêle dans ce terre à terre, un chat et sa pâtée, un aspirateur, des relations de voisinage, un éphéméride, des rails, un décor pusillanime qui fait osciller le lecteur du rire jaune au rire franc, d’un sentiment diffus d’angoisse à la commisération, au point de ne pas toujours bien savoir de prime abord sur quel pied danser.

En proie à un sentiment doux-amer d’être, par procuration, partout où l’on passe, tragiquement étranger, on lit d’une main tantôt un tantinet angoissée, tantôt carrément amusée, ce portrait drôle et attachant d’un vieux garçon célibataire menant dans son fauteuil à oreillettes une vie caricaturale.

Wolgang Hermann bâtit une sorte d’échiquier sur lequel il déplace insensiblement de case en case comme dans une bédé animée sa créature circonspecte de tribulation anecdotique en situation rocambolesque et lui fait subir graduellement une sorte de dépucelage psychique à la Charlie Chaplin infiniment cocasse non sans égratigner au passage toute une faune de figurants utiles et dérisoires offerts à la satire et prétexte à de savoureux portraits à vitesses variables d’hommes et de femmes mus par des intérêts divergents, le tout esquissé d’une main légère mais sûre.

Il filme à la trace son personnage en caméra cachée de l’intérieur comme de l’extérieur avec une tendresse manifeste. Lunaire et maladroit, Monsieur Faustini est drôle sans le savoir, et ce débonnaire naïf aurait pu rester ad vitam aeternam le détenteur innocent d’une forme de sagesse pénétrée d’humilité s’il n’avait croisé la plume de Monsieur Hermann et si les lois subtiles de la nature n’avaient pas pris un malin plaisir à se mêler de son destin : il y a toujours  une petite chèvre téméraire qui sommeille en chacun de nous et n’aspire qu’à casser la corde, entrer dans la forêt – ici ce lac, potentiellement grouillant de vie, dans lequel Monsieur Faustini n’est jamais entré, resté au bord –. Il ne restait plus à l’auteur qu’à tester le potentiel évolutif de son personnage, le mettre en situation et lui présenter quelques échantillons d’humanité en regard desquels au fond, l‘affable Monsieur Faustini ferait presque figure de sage, capable à ses heures de se remettre en question et d’apprendre en regard du monde qui il est.

Wolfgang Hermann écrit comme l’on fait insensiblement monter en température l’eau sous la marmite jusqu’à faire de son homme un héros malgré lui, un héros sans applaudissements, presque un éros, timide mais entreprenant, simple mais détonnant, en quelque sorte une perle que ce quidam a priori peu enclin à se faire « une entorse au cerveau », observateur néanmoins curieux du monde comme il va, sans pour autant le prendre pour argent comptant.

*

La lecture est un outil de développement personnel et de transformation. Les bons auteurs le savent qui l’exercent sur eux-mêmes en même temps qu’ils le partagent. Ce livre, avec humour et finesse, tape dans le mille à la façon dont un miroir grossissant n’épargne personne.

Bouquet final entre rêve et réalité, les affres et les apothéoses du quant à soi de ce « voyageur à l’échelle du minuscule », de retour auprès de son chat dans un veston tout neuf, après qu’il eut découvert la joie et craignant de s’y accoutumer.

 

 

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