Françoise Clédat, « Mi(ni)stère des suffocations » par Carole Darricarrère

Les Parutions

25 févr.
2021

Françoise Clédat, « Mi(ni)stère des suffocations » par Carole Darricarrère

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Françoise Clédat, « Mi(ni)stère des suffocations »

« On dirait », mais on n’en est pas si sûr, une installation paradoxale empruntant aux arts visuels comme au théâtre, « Un genre de théâtre du Moyen-Âge/Le texte d’une pièce de ce genre de théâtre » appelé alors ‘mistère’ et son auteur ‘fatiste’, « vieux mot qui signifioit autrefois Poëte, & sur tout celuy qui faisoit des vers pour disputer le prix des Jeux Floraux & autres » à en croire le Dictionnaire universel en ligne.

Dans la foulée de ces auteurs connus pour « réinvent(er) à partir d’un texte préexistant », Françoise Clédat, papesse entre toutes en sa maturité souveraine, blancheur impersonnelle de l’éclat polaire d’une conscience aiguë de la défaillance, assume humblement à livres ouverts et « distance désirante », « tisse(r) le texte de sa propre vie de textes écrits par d’autres, aventures déjà vécues, personnages en réemploi. La plupart au féminin », compagnons d’une déambulation autour de l’idée d’un « théâtre de vieillesse » comme « - imminence du grand consentement - », cap au pire dans une économie sécable de mots, puisque « le pire est avenir », « consentir - vieillesse oblige - / à faire d’écrire devoir d’anorexie ? »

L’enfance par bribes y suffoque, et souffrante seule l’innocence est déjà vieille, surgissant neuve de ses décombres en miroir des tiroirs automnaux de l’âge adulte, gestes longs gelés à cœur dans leur élan, coups de feu des non-sens niés en silence, premières fêlures tristesse goutte à goutte ravalées, que les mots détricotent et rapiècent, que l’âge dépèce et recouvre de constructions l’instinct d’y mettre bon ordre dès lors que figures s’écart(èl)ent dans l’éternel retour de scènes signifiantes dans lesquelles l’emphase n’est pas de mise, couvant de fait sous la glace dans l’âge mûr du texte : l’écrire n’est pas un jeu.

Mais un échafaudage - attention fragile - cartel de l’effort aussi dur que plein air volatile, cadre sur pilotis sécurisant ce qui par essence échappe, un présent profus de résurgences tirées au cordeau fait peau neuve d’une charge d’accommodements, et ministère de l’élégance le chaud-froid des interprétations butant sur la contrainte, la tension d’une écriture surfant sur la retenue - « prône le débordement comme idéal mais se rassure de son impossibilité » -.

Autant dire qu’aucune volonté de séduction n’est à l’œuvre dans ce miracle de superpositions ontologiquement correctes qui n’en défie pas moins les lois de la pesanteur à l’égal d’un « jeu de feuilletage injouable » composé d’un entrelacs complexe d’annexes, notes, prologues, renvois, et de citations rythmant - et impactant - le bon déroulement de la lecture qu’autorise supposément la fonction discrète d’un appareillage fictif de leds (didascalies, légendes, coda ?) : « Le texte résiste à sa représentation // Ou est-ce la représentation qui résiste / cesse d’éclairer ce que du texte elle était censée révéler / (…) Chaque cartouche comme d’un château de cartes dont les cartes rebattues ne parviendraient à aucune édification », la fatiste  « s’y découvrant étrangère / refoulée de sa propre représentation ».

La recherche adéquate de la forme appliquée à « une dramaturgie de la vieillesse » participe d’un sentiment de frustration, gestation du recyclage, impasses d’un genre hybride évoluant par déplacements autour du flux et du reflux d’un courant d’érudition, par correspondances, emprunts, « captations », ou dissociations, autant d’impacts dont la sublime décantation fera substance à venir dans un livre à part dans lequel l’imagination tarderait à s’émanciper du cadre contraignant de l’invention d’un dispositif à la faveur duquel l’auteure, réglant son éther à orbes contenues, à loisir s’autocensurerait.

Ministère de signes par degrés d’empêchement, théâtre de justesse que la sidération  linceule, voie sèche de l’intensité, ardeur conduite au contrôle par instase, sorte de pèse-mots cérébral s’activant « à évacuer la moindre trace d’émotion là où elle pourrait affleurer », le labyrinthe de la composition et ses bassins de contention - de continence ? - ne débondant la parole qu’à la faveur d’une « parenté de désir », c’est alors l’éblouissement filant de la beauté minérale du diamant ramenant dans son éclat l’écho de siècles de pénétration silencieuse et de maturation, l’« assomption par le corps du texte de l’extase corporelle de sortie du corps » en « Maison 3 » - T comme tuteur, Blanche comme Maud, g comme gratitude -.

Maison du Père, maison du Fils, maison du Saint-Sauveur : en chacune rôderait l’Esprit (disons le Poème), chacune fait l’objet d’une visitation par empathie ; maisons mentales du passé, du présent et de l’à venir, manteaux d’hiver ; trinité du corps, du cœur et de l’âme liés par jonc d’écriture jusqu’à obtention d’une formule immune pure, de l’épure d’un vêtement immaculé, préface à un suaire « qu’aux cintres de son théâtre elle (…) suspend » ; maison 3 s’appuie stupeur, du berceau à la béquille en miroir de la danse, à la représentation du réel par réenchantement ; décrit du dedans à la loupe empathique ce que voir fait au texte comme à soi-même ; danse en Ehpad les derniers embrasements d’une déroute de beauté avare « que texte sur la page mime ». Dans mi(ni)stère le mot ‘misère’ donne la réplique sublimé en poésie par réinterprétations successives d’une œuvre source (de connaissance, de cohérence comme d’imagination).

S’y décante le hors-livre des alluvions qui tendent l’écriture et les temps d’infusion nécessaires aux prolongements de la lecture - « (de la machine identificatoire, invertie, faire fabrique) » -, la vie abstraite des citations tenant lieu de révélateurs transpersonnels dès lors qu’une phrase dirait-on d’un livre vous échoie.

S’y appréhende cette part de sagesse qui se soustrait déjà à l’incarnation, « sas à franchir » d’un parcours d’aveux de « je ne peux plus », dans le décor de pots de chambre d’un ballet arrêté « une chose voudrait tendre les bras vers quelque chose », à forêt aspirent feuilles de lune végétatives éros ballant et leur sommeil ; scènes motrices reconnues à la faveur de quelque écran improvisant un scénario de réminiscences aussi longtemps que l’on reste avec ; fil d’un documentaire poursuivant sa course à part dans l’œil poète ; musée de cire s’animant à la lettre dans le souvenir que l’on en a ; mouroir de l’entonnoir à fictions qui secrètement nourrit les étranges ramifications de bourgeonnements à venir ; terreau de ténuité passant par le toucher la barrière encéphalique ; échelles de perfusion et ricochantes recréations « obéissant à un principe de réitération ».

À la croisée de l’empathie et de la sensibilité, en pudeur, en sororité, à la lumière du bâtis de ferventes écoutes, en résonance, « moi / le troisième personnage / parlant en mon nom au nom (de) Christine, Margaret, mes autrement nommées », mon moi souverain impersonnel, par procuration esquissé, « corps de papier », « C’est sur moi que je trébuche et tombe – dit la fatiste ».

 

 

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