Zone inondable de François Heusbourg par Tristan Hordé

Les Parutions

20 juin
2017

Zone inondable de François Heusbourg par Tristan Hordé

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Il n’y a pas de "sujets" privilégiés en poésie, sauf à penser que seuls le seraient le coucher de soleil, l’Amour ou la Mort, ce que véhiculent, bizarrement, encore trop de discours prétendument pédagogiques. Il faut encore et encore répéter que le poème est un objet de langue, ce qui ne l’empêche pas aussi de dire ce qu’est le monde. François Heusbourg a écrit à partir de ce que l’on désigne par "fait divers", qu’il rapporte à la fin du livre : « Le 3 octobre 2015 au soir, de violents orages ont éclaté durant deux heures, inondant le littoral des Alpes Maritimes et faisant 21 morts. »

Zone inondable se répartit en trois ensembles de poèmes brefs : relation de ce qui est vécu pendant l’orage, de ce qui est constaté le lendemain, puis de ce qui a, ou non, changé. Récit donc d’une expérience, accompagné à l’ouverture de chaque séquence d’un dessin de Jean-Michel Marchetti : le premier évoque tout à fait autre chose qu’un désordre provisoire de la nature, on pense plutôt à un événement violent qui désorganise la vie quotidienne : c’est l’image d’une bouche d’ombre sans issue, en parfait accord avec les poèmes. C’est en effet le monde dans lequel on vit qui est mis en cause dans la mesure où les repères habituels disparaissent ; un appartement n’est pas le lit d’une rivière, les voitures ne sont pas des bateaux, etc. La personne, perdant son orientation — la place des choses — est atteinte en tant que telle ; l’envahissement de l’eau entraîne des changements dans la perception des objets, le corps n’a plus son assise et ne peut la retrouver tant que l’eau est présente.

Ce qui s’efface, c’est l’idée de limite entre les éléments, terre et eau, la terre devenant autre : de la boue, qui ne peut évoquer que l’instabilité des choses ; entre le dedans (lieu fermé, intime) et le dehors en mouvement (eau, vent). D’où la peur avec « la gravité retournée / des objets ». Ce qui est éprouvé s’apparente à ce que l’on peut connaître dans des moments violents de désordre intérieur : le monde alentour « fond », « se défait », bientôt on sent le « corps dilué » — le narrateur vit l’illusion de la porosité — ; bref, tout concourt à exaspérer un sentiment de solitude, d’abandon.

Ce n’est que la nuit passée que se retrouvent des images d’humains, un signe que la confusion se dissipe : le café chaud. Mais si tout semble à nouveau stable, les effets du désordre ne sont pas gommés avec le jour. C’est pourquoi il est nécessaire d’écrire « une narration / comme une eau » : le désordre est réduit par le récit qui s’y substitue et il devient une histoire, un fait-divers. Restent des images, des "souvenirs" qui seront à raconter, et l’on insistera alors sur l’absurdité de ce qui a pu se passer, comme la noyade d’un homme qui n’a pu ouvrir une porte bloquée par le flot. Pour l’essentiel, le temps ne s’est pas arrêté, tout est « étrangement à la même place » ; même si de légers déplacements sont observables, rien n’a vraiment changé :

la porte toujours
ferme avec un petit jeu
comme avant

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