En mode turbulent de Pierre Drogi par Carole Darricarrère

Les Parutions

19 sept.
2019

En mode turbulent de Pierre Drogi par Carole Darricarrère

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Motion de remous « les pierres du parapet/toutes rivées entre elles » plus liquides que parole « à beaux glous-glous goinfrés », « quelle bizarrerie de bleus d’ocres et de diables (…) quelle bigarrure », quoique fascine le beau désordre éteint, le saint axe de l’« élastique » hypographe et de la « périlleuse » syntaxe, à très petites échelles de grandeur des remues passantes ne conserver que les empreintes, poem watching des brisées du guet du geai lisant à livre ouvert les impensés d’un chasseur d’images, gros plans gobés d’ornithologue, hors-temps télépathique de la vue qui va ; inutile de (chercher à comprendre serait résister) tout est là, tout s’éclaire en de solitaires abstractions au rythme de la marche l’herbier d’une promenade salutaire ;

Une libre dissociation installant sa demeure au carrefour de tous les vents c’est à un pique-nique de nappes phréatiques que de végétales substances convient les croisades en miniature d’une langue réinventant le désordre pour mieux en restituer la substantifique moelle ;

Rares et singulières seront en conséquence les donquichottesques friches d’une lande d’inachèvement surhabitée qu’un robinson désorienté arpenterait sans relâche à la conquête des vestiges d’une arche pérenne (celle du texte suintant des psaumes par empathie ainsi guérir se peut) ;

Autant en promet l’attaque par le milieu décousant un à un les fils d’un récit impossible à entamer, le non-parler animal d’un arrière-pays hostile à la raison, les limbes de la mission de la vue en miettes étincelantes de verre pilé, un agrégat de ciel de terre et de bruyères rabattant en ses lisières de fabuleux bestiaires gourdes de chasse et hauts gibiers ;

C’est les mains vides les yeux bandés que l’on lit bien comme à travers les murs le texte qui extermine le sens à fin d’en féconder les bordures qui pourquoi en cet instant se souvenant des bribes à la volée d’une parole tenue pour vraie ;

Signera dans les marges l’appareil d’une déponctuation, virgules en tête à la ligne, formes médusées, sensations premières, élémentaires, quasi larvaires d’exister sous l’eau, d’émerger bibliquement de sous la marche, une négation de chasse ;

Pas de prise, le lièvre à sa place poétiquement campé dans les nuages, la nature efflanquée de la soif saluant du renard la fable autant que le cadavre, ici se dessaisir de la chronique mot à mot revient à tenir un rêve en état d’éveil, musarder les reliques d’une morale entre chien et loup, l’ocre le bleu le sel de la conscience, l’interlope saveur âcre se déclinant en mottes et motets de petites coupures ;

Jamais une phrase ni ne commence ni ne s’achève sans avoir au préalable décroché le petit train de la lune ; dans ce contrejour s’aperçoivent les chimères de la raison raisonnante rendre les armes sur l’autel de la poésie sauvage le lierre erratique bondissant de déprises et de reprises par saturation vide d’intermèdes ;

La photogénique du saut quantique épousant du terrain les accidents, revisitant le monde à dos de libellule les innommables stations de tige en tige les zigzags les crochets surfaçant l’allure d’un no man’s land surgit landscape, effleure la page fait retour sur le retour une transhumance désarmée désarçonne le cadastre, rapt ce qui reste s’efface et recommence par le milieu ;

Quête sans tracé de l’ours équipé d’une caméra automatique filmant à son insu un rognon de terre dans un courant de mots flottant tels nénuphars sur un lac de papier se repoussant dos à dos les uns les autres face à face de nouveaux destins s’ouvrent cages et volières sur des silences de vase le profond repos déterré ;

Surgissent trous d’eau et nids de poules ; d’une trame repiquant ailleurs le motif, l’ornithologue dérivant à la lettre sur la vague d’un non lieu à l’abandon, voici venue l’épuisante splendeur organique du fond de la beauté bizarre, poids brut d’une soustraction d’air et d’eau confondus ; ici se perdre comme l’on patine oubliant ce après quoi les battues s’organisent ;

Comme si un délire hétérogène s’avisait de se taire par petits hoquets de déclinaisons dans les intervalles, écrire de biais en crabe les marées du verbe en ses menus assèchements et passer la main au vent de la lande, les nostalgies de la vue improvisant un lâcher prise sur le rebond musical de la forme roulant museau du ras de la truffe pierre n’amassant de faux départs que les arrivées concordes ;

Ici du Satie, boisées les Gnossiennes sans barres de mesure et les Gymnopédies réinventant l’écriture à la source de l’eau, les gammes de notes d’un piano désaccordé jouant à contrepied le recommencement à la ligne du départ de l’origine, la manche pierreuse de la marche draguant à elle les éléments de la rencontre, « lessive le petit pont lacé de la parole » ;

Empruntant à ces pièces le peu informatif d’une absence singulière de destination c’est donc paupières cillant comme à l’aveuglette que j’engage le lecteur à parcourir ce très rare travail de déconstruction de repères par sudation de mots que sous-tend le poète Pierre Drogi dont le livre nous conduit aux franges de l’eau et au bord de la limite à dépasser un besoin pressant de terre ferme ; tandis que se précise et se poursuit l’aventure d’une interprétation de la poésie désormais affranchie d’anciennes extases se réappropriant à l’épreuve du réel le lyrisme pour ainsi dire de manière endémique (intrinsèque à la nature de la création) comment réintégrer alors le présent de l’immédiateté animale de la rencontre dans le texte si ce n’est à la faveur de passerelles et de blancs, main levée sur le mystère d’un fil autonome qui se dévide pour mieux restituer la sensation, le temps d’une lecture exhaler le grand dehors ;

Dès l’orée un chemin d’herbes offre la possibilité de s’égarer à l’origine du verbe dans un livre d’empreintes ; il invite le lecteur à s’enfoncer plus loin sur un sentier de sable qui bientôt ne sera plus que trace entre mer le sel la forêt son écorce un chemin que l’on dirait presque à fleur de peau ; d’âcres bouquets d’ocres odorants et des bleus crissant sans boussole ni attelle s’enfoncer est une méthode revenant à mieux se perdre ; une invitation à laisser flotter dans les blancs de la langue les minces languettes de sensations diffuses quitte à revenir sur ses pas et stationner en rond à l’arrêt pour mieux sentir filer autour d’une absence de sujet l’apparition d’un bestiaire de mots ; entrer comme libellule dans le grand dehors réel des saisons permet de frôler le froid et le feu en combustions de givre et de feuilles sans rien en attendre ; traversées de signes de cygnes d’infimes réminiscences, en poche les miettes d’humaine civilisation le mince filet de la culture apposant ici et là sur l’ouïe l’ours et la vue ses pièces rapportées comme autant de mensonges : « ton poème Ossip étouffe sur la langue » ;

Livre d’une irrésistible légèreté pour ainsi dire poids d’intensité de la matière environnante ; du pas de la collecte à la rencontre en soi de l’écho de ce qui fuit l’écriture échappe, dérape, suspend son souffle, se dilue, aussitôt se réinvente au plus près de l’origine de la sensation : langue de chat, profil de renard, fourrure de fourré, domaine du frôlement interlope du vent dans un bois de hasard ; à vivre sans penser quelque chose sûre viendra se placer par superpositions au carrefour de tous les passages désarticulant la logique pour mieux apparaître ;

Polyphonie d’un précipité de silences sacrés profanes, livre de trappes magicien à nul autre pareil, l’appareil d’une désorientation magnétiquement orchestrée par glissements de reprises des bancs de mots ventre à l’air entre deux apnées adhèrent à la lecture pour autant plus loin que se fonde dans l’effacement le propos ; rester avec ce texte est une option qu’on ne choisit pas tant cela va de soi ; le lire est le rêver cependant que n’est pas douce la mesure qui tient ensemble à la fois l’élan et la carcasse ni le sont les rudes lois de la nature mises à détremper bout à bout dans quelque pays intérieur ; « parole celée au fond de la boîte (...) porteur d’épiphanie quelqu’un (...) il est parfois plus simple de guérir en disant arbre ou bête » ; une parcimonie sauvant de l’erreur les fautes de frappe de la conscience bienvenues sont les résipiscences d’un temps à lire « en terre versatile engoulé » : « Il suffirait d’ajouter la valeur d‘une cive ou d’un pas pour arriver à la bonté » ;

De ce lieu insitué la valeur sûre, entre ciel et écumes tombe de l’autre où s’encimentent s’enchaînent les racines au ciel tout comme les « suites enchaînées » de Pierre Drogi ; « Tant va la vache à lait qu’à la fin - / cachalot . (…) dis-moi petit animal qu’est-ce qui veau ? »

Comment le suggérer en miroir des expérimentations élémentaires du ni-dire-ni-parler de la nature élastique du vent et de l’eau, vas-y toi essaye, défi d’autres abécédaires à la bête qui marche pense et qui écrit ; « firmament de la berce firmament de la carotte sauvage/firmament de la tête miracles encerclés voûtes ouvertes on y voit l’image du ciel étoilé/ Rétracte et contracte (le fruit)/Entre la paupière et le globe d’humeur aqueuse Je suis « Es-tu ? » Qui parle ? » (…) « plaquant la lettre sans égard sur le lieu du sens » (…) « tache noire petit morceau de mauvais ange » ;

Nous ne sommes jamais bien loin ici du mutisme, cherchant dessous l’air-et-la-chanson la mémoire des arbres sans jamais en épuiser l’énigme, ni d’entrevoir la face cachée de la lune dans les gouttières de la langue, le peu sobre en résidu d’abondance écrire sans crier dans les apnées de la pensée suffit la trajectoire.

 

 

 

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