Enfant de perdition de Pierre Chopinaud (2) par Carole Darricarrère

Les Parutions

09 janv.
2020

Enfant de perdition de Pierre Chopinaud (2) par Carole Darricarrère

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( Notes insistantes en immersion aux confins de la lecture entendue comme voyage intégral comme toute Recherche emprunte les voies de la contemplation pour mieux en appliquer  les lois à l’action romanesque )

 

« (...) après que nous avions des nuits et des jours d’ennui fendu le sillon de la terre plate, comme, dessous nous, s’ouvrait la baie sur quoi soudain la route chutait comme l’eau d’un fleuve dans une cascade et que, à l’infini de ce que nos yeux pouvaient voir, s’étendait l’incendie que faisait le soleil, en brûlant, de l’immense lame de l’eau, l’étendue du rivage d’où la vapeur d’un nuage dans le ciel montait, à travers quoi le miroir couché de la mer scintillait sous l’horizon comme si nous arrivions dans l’instant où le souffle de l’Esprit saint a soufflé pour faire le monde. Ainsi Vénus était l’Esprit (...) Et là (...) se tenait la vérité qui est la chose vue sous le nom et aimée. »

 

Libres rebonds de balles à longs revers d’endurance et services châtiés à la volée, du Verbe le spectacle tendu inlassable, de développements en déclinaisons, de mutation en mutation, d’infantia en adolescentia, de soumission en révolte race pour race comme œil pour œil sous les dents de l’Histoire, contre toute attente de tradition en sédition, haut en couleurs surgies drues flamboyant par-delà le bien et le mal l’être et le néant de quelque étoffe biblique, ce buisson ardent, cet écheveau proustien revisité de morgue contemporaine, cette fresque de caractères d’une densité océanique débordant vers l’Antiquité, ce peuple enfant de va-t-en guerre s’auto-élevant telle une nuée complice de chats de gouttière, cette nébuleuse organique de vaut-rien de chair taillée, de gueux, de Misérables, de Rois Mages, ce melting-pot délinquant de races insubmersibles l’une à l’autre, entrent en scène en Technicolor, arrivent de partout comme chiendent renaissant de générations de sables et de cendres essaimant « bâtards universels », se croisent par monts et par vaux en terre étrangère à grands rouleaux de Verbe, afin que danse sous nos yeux ébahis l’humaine chorégraphie couronnée de ronces et tressée de défiance en pointillés de pas et de retours, médaillés de vie et de mort, tous nés inassimilables comme exil, chiens et chats tatoués d’un potentiel de perdition politiquement incorrects dès lors que « deux races ne peuvent se partager à égalité un monde » et que « l’accent est une menace sur le monde familier », du vivre-ensemble le survivre séparément poétiquement liés lissés de parfaite vraisemblance l’immense nostalgie reconduite en belles-lettres de Haute-fRance éclaire en XXème siècle l’actualité.

 

Portraits picaresques s’il en naît en vis-à-vis de fils de notables et de voyous parmi lesquels « le maître Omar faisait Mourad être le valet » (...) « jamais (Omar) ne rentrait du fond de la nuit où il s’était fait pour bivouac une toile tissée entre les étoiles. C’était Mourad qui le trouvait quand de sa nuit Omar revenait et déposait sur son épaule la paume de sa main comme le pétale d’une fleur se pose avant l’aube la rosée. Mourad était docile et Omar il suivait comme celui-ci venait le sortir de la rêverie où solitaire il errait. D’Omar il n’avait pas la grâce. Ce dernier se soignait et ne distinguait pas comme il se préparait s’il allait au crime ou s’il allait aux femmes. » (...) « Du mal Omar était l’amant, (...) il était celui dont la joie faisait à toute la compagnie de la faute une volupté. » (...) quand dans une même unité de temps le narrateur tantôt taciturne (...) « j’étais encore tel qu’un bouton non éclos tant que nul ne sait à la sève tardive s’il sera fleur ou bois (...) vaincu, j’allais seul, embaumé des vapeurs de toilette dont le parfum me rehaussait à ma propre idée (...) », ou Jessica « aux lèvres bourrelées et rutilantes charnues du vin par ses aïeuls transporté dans des soutes (...), et des filles dont les pères avaient failli (...) et qui imitaient leurs frères désaffiliés pour avec eux engendrer une jeunesse sans amour. »

 

Ainsi se reconnaît le grand-œuvre des Écrivains attelés en ascèse à une concordance de temps de lieux et d’évènements les saisissantes majuscules des causes et des effets, des souffleurs de mots, des cracheurs d’encre promus à la postérité, seuls et habités, à la Mémoire qui faisant retour fait rage dans les détours les enseigne, « afin que l’Écriture fût accomplie », le réel transcrit en mille et une nuances de réalités comme autant il en existe, que le message par eux à tous soit délivré à chaque étape de la lecture repoussant de lui-même en chaque épisode ses rejets kaléidoscopiques, et que les revers sonnants de l’Histoire, l’orgueil et la détresse, la différence, les dissonances et les opposés, soient contés imprimés et poétiquement compris sans préjugés.

Dès lors plonger à mains nues dans ce corps mythique de prose décoiffant aux rimes et rythmes en cascades consiste à se laisser haler par le tirant torrentiel rapide et sans réserve sans résister à la manne providentielle, faire communion de geste grammaticale et renouer avec une puissance romanesque que l’on aurait cru à jamais perdue, comme muselée par radicalité d’irrévérence sèche au nom de la nouveauté vaine l’orgueil qui à chaque époque faisant fi du pérenne se fait fort et sans amour d’être l’apôtre du changement.

 

A contrario, en cette cour des miracles, la forme élève le sujet par poétique passe l’engagement, le récit renoue et révèle la fiction s’épand, en toute conscience draine et charrie sans ménagement des personnages de la naissance à l’Eros duquel germent la mort et le mystère dans une langue tout autant fleurie qu’épicée de réelle morbidité la réalité le sordide en poésie ici confondus, une langue suave tout autant qu’oraculaire qui les baratte pour mieux les initier, corps et âme métissés à toutes les nuances sauvages de l’ardeur de l’ombre à la lumière, et cette langue pieuvre et poivre et suçon de désir qui est semblable à un muscle fleuri et fait hommage à un lyrisme décomplexé ailleurs refoulé, emprunte d’innombrables lacets et tournures métisses pour nous emmener, tambour battant sur la longueur avec la verve des troubadours de rime en rime et jongleries, de l’intime au collectif coiffé d’universel avec une assurance et une autorité qui font allégeance à l’Histoire jusqu’en ses déviances contemporaines, et qu’enfin de l’Humanité toutes races confondues apparaisse l’arbre de vie plein de violents rameaux et autant de branches mortes, de noeuds de plaies et d’anneaux de vipères, d’élans et de retenue, gardien des crimes et des secrets, témoin incarné de la traversée silencieuse des racines en filigrane des siècles, étant posé que le vrai sujet de ce livre pourrait être à lui seul le grand retour triomphal de la langue entendue à la fois comme fondement et mur porteur de sens, projet orgiaque et eau de vie, comme facture de maître et lettres de noblesse à grands renforts de tradition soutenue et d’images la lecture étant proposée à la relecture comme expérience décisive et implant de lumière.

 

« De ses lèvres sortait un gémissement vague qui venait de sous le mal qui la faisait faillir comme elle rappelait la volupté ! (...) Elle était, humanité morte, frémissement de lèvres tumescentes où les bulles d’eau de mer saillant bruissaient et faisaient les coques s’ouvrir, montrant leur nacre pour que de la houle la valve se nourrît. »

 

Ainsi s’enfonce le lecteur sur la longueur instinctivement dès l’entame en chair et en os comme histoire et géographie tandis que l’auteur l’emmène dans le détail à coups stylisés de fleuret et grands déroulés de cape en haute langue épique sur quelques six cent pages étoilées pour ainsi dire tombées du ciel en élégance et averses ourlées et foulées fichées droites en Littérature comme réminiscence réveillant le quidam au bois dormant pour mieux l’estoquer et ce faisant l’enseigner, ainsi écrivent les Éveillés touchés par le génie dont le coup d’essai égale un coup de maître, d’où vol, viol, concupiscence, profanation, vandalisme et l’ordinaire, alternent avec tableaux de maître dans la langue de Faulkner et l’œil des peintres « par-dessus le feu derrière le mur, où l’on allait par une porte au verre moulu de soleils jaunes, était ma grand-mère aux cheveux d’argents soyeux tel un pelage de lièvre, qui retirait du four brûlant une bête, sa peau dorée et frémissant de graisse ruisselante. »

 

Être dansé, long en bouche et gouleyant, par mélodie comme principe de contamination, possession de vie, de destinée, de trajectoire à horizon de néant, afin que l’Écriture retrouve ici son panache, son allant, son assiette, ainsi louée « soit accomplie » et que lecture en climats abonde adombre et initie, ayant été touché par le pittoresque et le don quichotte d’une inspiration repoussant indéfiniment ses limites, être précipité d’un coup de massue par inondation de remous comme possible coulé de lave, être mort à soi dans la lecture et vivre de concert en l’autre en ses résurrections et funérailles, être materné par main de mère dans la langue femme du sens et paterné au doigt et à l’œil par la raison et la direction, atteindre harmonie et sagesse par le conflit étant la proie mi-consentante mi-consentie de « l’universelle bâtardise », force aimant d’inhumation d’humanité du péché le parfum innommable, être enseigné à l’école des étoiles et tomber en pâmoisons sous le consensus des fleurs vallons et feuillages sur un compas de beauté, là et ailleurs en aval, dans l’amont découpé en trois grands livres de chacun trois chapitres tatoués de titres comme autrefois un jour avant lui, un autre ‘homme sans qualités’, fit loi... ( « Dans le jaune falot d’un fanal », « La lumière ne luit que dans la nuit des mots », « Maître de la source et maître de l’écoulement », « Cette haine double et la solitude qui en résultait » (...) ).

 

Jouant misère par procuration avec le chat comme avec le feu de l’enfer entonner dépouilles né par hasard et de rien aussi loin que le crime de mémoire paraisse condamné à la race comme combat d’ombre et d’impossibilité, l’humaine différence en guerre contre toute tentation de paix, naître nature jamais assouvie rongée de châtiments, il (l’auteur) a dû porter ce livre comme un père porte son enfant pur en lui de par le monde dur afin que de ses pas l’ancienne Histoire en pointillés et fers de lance par eux soulevée fasse sens au présent et frappe en pluie de  compréhension et en Littérature mésententes barres et banlieues ; par les mots ainsi les maux sont-ils brassés comme courants de filiations au nom du chaos de lumière d’un puits de pénitence, par pénétration lente de figuration en défigurations successives par entéléchie, engeances de marbre et profils au sabre toutes lignées confondues, précipitant à toutes fins utiles dans la mort ses chairs, ses vœux, son dépouvoir, déplu l’oiseau ses quartiers de faïence, est mère et père chaque personnage, comme jumeau d’amour orphelin et de haine imperméable, en miroir de l’ancêtre venu et à venir en répétition de la scène primordiale, fait successivement être l’un et l’autre un être-seul du premier au dernier l’incoerrante féerie.

 

Et le livre prit feu en profession de tourment après que le couteau l’eut fait verser par la corde dans le narrateur par fascination contre envoûtement d’entité obscure ( « Longtemps je fus hanté par l’entité hostile qu’avait fait entrer dans ma vie le fils d’un plâtrier » ) et que l’auteur en cueillit le rebond lisible et prit la mesure d’où naquit l’Écrivain en résurrection de pittoresque, ainsi du salut comme monnaie de l’épreuve est le livre de recouvrement d’un enfant de perdition et de tant d’épines à la traîne au nom du père, dès lors qu’être lisible n’est pas une destination mais un arpentage en quête d’un horizon et s’acquiert à la lecture par grands jurons d’imparfait du subjonctif, entré ici le lecteur nu et affamé par la grande porte, se souvenant par maîtres interposés de ce que lire signifie de chair et de substance substantifiée.

 

Qu’ici soit régénéré et perdure le grand talent du jadis par langue inexorablement appauvrie mains bandées par nouvelle censure comme autrefois ailleurs furent les pieds poupons, afin que beauté jaillisse aux yeux obscurs hors le voile qui néantise les sortilèges et que chevelures abondent par hommage comme vérité faisant honneur au génie, qu’ainsi soit planté le feu aphrodisiaque des souillures et que soit transmis le goût de l’ardeur au lecteur blasé indifférent au massacre de langue comme monnaie unique égalitaire, qu’ici le lecteur passe le torii d’une sorte de paradis, toutes vannes ouvertes à l’accès par excès et succulence excessive de sève, en décharges d’inspiration à grande photogénie aurorale, bleu comme cela y ressemble quand lire engage à une révolution neuronale, font révolution sur leur axe les hémisphères et recouvrer pantelant le sens premier de la lecture délivrée de ses postures conceptuelles est un plaisir palpable qui fouette les sens et ressemblent à la vie elle-même grandeur et confusion.

 

Car lire est là en français ancien comme dans ou devant une langue étrangère dont le pouvoir n’est jamais perdu mais renaissant à ceux qui se penchent jusqu’au vertige volent les barrières en  frontières franchissables par suspension de médiocrité comme s’absorbent les filtres devant les foules incrédules, le commun, l’inqualifiable, le familier, l’exigence suspecte rendue coupable faisant acte à part de qualité comme si sortie enfin d’un mauvais rêve.

 

 

C. D.

9 janvier 2020, Pratchuap Khiri Khan.

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