Gabineau-les-bobines de Charles Pennequin par Nathalie Quintane

Les Parutions

02 nov.
2018

Gabineau-les-bobines de Charles Pennequin par Nathalie Quintane

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Lulu, Gégène, Mamie Reine, Nono et Quatre-vingt-livres, la Tchichette (qui est un homme), Vallonia et tous les tontons, Charpie et Charlie… et le fameux Gabineau, qui donne son nom au livre mais ne vient pas, se fait attendre, pointe son fantôme comme un double de Gégène, son grand ami, les seuls à correspondre et à se correspondre sans doute (mais on se saura pas comment), quand tous tournent et passent, régulièrement reviennent puis disparaissent, dans un jeu d'échos et de reprises qui aurait pu les changer en silhouettes, esquisses, seconds rôles, alors que c'est précisément ce qu'ils ne sont jamais tant il y a d'empathie, de distance et d'amour dans la manière dont ils conduisent le récit — qui est ce en quoi consistent leurs « portraits », mobiles, d'un lieu à l'autre, d'une situation à l'autre. 

Personne ici n'est un héros : on est dans un milieu populaire mais pas seulement (ouvrier, gendarme, instituteur, professeur…), en famille (beaucoup d'enfants, des brus, des belles-mères, des frères et des sœurs ; le père : Gégène ; la mère : Lulu), plutôt catholique, et dans le Nord (le Cambraisis, à Thun-Saint-Père, dont on se demande si les habitants sont les Thunépéréens ou les Thunépérins, voire les Thunépatériens — Pennequin et le lecteur s'amusent bien avec les noms propres). Les bobines de Gabineau, ce ne sont pas seulement les tronches ou le défilé des visages, mais aussi celles d'un film, de films, les films du livre, comme il y a les musiques du livre. Régulièrement passent des allusions aux enregistrements, pellicules et bandes, K7, où puise un récit sans chronologie (on devine Charlie enfant, puis Charlie père de famille et enfant à nouveau, par exemple), où les personnages se télescopent au propre comme au figuré (c'est vachard aussi) dans un temps sans queue ni tête, avançant par sauts brusques, dont rendent compte la syntaxe et l'absence de virgules : « En quatrième Charlie est tonton deux fois de suite et au réveillon du nouvel an il y a un accouchement en direct d'un bébé qui aura vingt ans en l'an deux mille. »

Quel seuil Pennequin a-t-il dû passer pour que le poète qu'il est écrive (enfin) le roman qui l'attendait ? C'est sans importance pour celles et ceux qui liront ce livre auquel il n'y a rien à retrancher, peut-être parce que l'auteur a, lui, volontairement ôté tout ce qui pouvait à la longue virer aux tics poétiques qui font encore la misère plus que la fortune de tant d'épigones. Fin d'une époque. 

 

 

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