Nos dispositifs poétiques de C. Hanna par Nathalie Quintane

Les Parutions

23 juil.
2010

Nos dispositifs poétiques de C. Hanna par Nathalie Quintane

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Quand, en 1987, dans sa préface au recueil de textes d'abord parus dans la revue Po&sie et consacrés à l'analytique du sublime, Jean-Luc Nancy écrit ì Il se révèle sans doute que la question de la présentation est la question de ce qui se joue à la limite de l'essence : ainsi, à la limite de ce qui est à l'art plus "essentiel" que son essence d'"art" elle-même, de même que le sublime est plus "essentiel" à la beauté que l'essence même du beau.", on sent bien qu'à force de guillemets, de mêmes et d'essences, tout cela est à deux doigts de cramer - si bien qu'il y faut le rappel, préalable, que ì La tradition nous transmet l'esthétique comme question." Arrimer la poésie, le poétique, la question poétique ou la poésie comme question, à l'esthétique* et à un essentialisme ou un fondationnalisme est en effet essentiel non à la poésie, mais à la philosophie "entendue comme la structure maîtresse et matricielle à travers laquelle l'Occident, comme tel, se comprend".

Le livre de Christophe Hanna n'a visiblement pas été écrit contre ce qui s'exprimait dans les années 80 et dont on entend encore de ci de là l'écho - Deguy, ni Nancy, ni Lacoue-Labarthe ne sont cités ; c'est une autre filiation, nourrie à la fois de philosophie analytique et de pragmatisme, Wittgenstein et Dewey**, qui jamais ne considérèrent la philosophie "comme la structure maîtresse et matricielle à travers laquelle l'Occident, comme tel, se comprend". En ne faisant pas mention du corpus traditionnel de la poésie occidentale (Heidegger/Char-Hölderlin et suivants), Nos Dispositifs Poétiques ne fait que signaler, en creux, que nous sommes, de fait (et non de son fait), passés à autre chose et qu'il est temps de considérer ce que cela nous permet.
Le plus spectaculaire est sans doute l'explosion du corpus même, l'ancien et précédent paraissant du coup rétrospectivement tout resserré : des poètes, certes (Denis Roche, Hocquard, Tarkos, Chaton, Manuel Joseph...), des "intermédiaires" (Gleize, Leibovici et Quintyn), des artistes (Lombardi, Bérard...), mais, et c'est le plus remarquable et non le moins pertinent, une extension à la sphère publique (les photos prises par Lynndie England à Abou Ghraib, par exemple) qui autorise l'un des chapitres les plus intéressants : La table de Kamelia, soit un collage réalisé par une élève de seconde et quelques pages où se déploie une capacité d'attention au monde et aux autres, aussi "insignifiants" soient-il, assez inattendue dans un livre de poétique. Par Kamelia, via Hanna, la poésie est donc en quelque sorte remise sur ses pieds, et s'il s'agit bien de "rendre visible l'invisible", ce n'est à l'évidence plus le même invisible.

Les dispositifs que théorise/décrit Hanna (tous "recontextualisants", au sens où Mallarmé compose le coup de dés en utilisant/accommodant la partition musicale, étrangère jusqu'à lui à l'ordre de la mise en page poétique) sont tous intéressés au monde autrement que par un "engagement" thématique ; ce sont des systèmes, ou plutôt des agencements, compréhensifs ; ils n'ont pourtant pas pour but d'offrir un sens ou une vérité, mais se confondent avec une position et sont conçus "comme des outils ou des disciplines d'inquiétude sémantique et de méfiance sociale". On prendra garde à ne pas mésentendre le dernier mot du livre : la notion de "solidarité" ne signifie pas, ici, une adhésion au "care", mais la liquidation du parti des philosophes-poéticiens comme seule instance productrice de vérité et de compréhension. Une intelligence s'active à tous les étages (de la société) ; agir en poète la révèle.



* "tradition" tout de même fort récente...

**` à noter, la parution récente en Folio essais de Qu'est-ce que le pragmatisme ? de Jean-Pierre Cometti et de l'ouvrage de John Dewey Le public et ses problèmes.

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