Pense aux pierres sous tes pas d'Antoine Wauters par Carole Darricarrère

Les Parutions

21 août
2018

Pense aux pierres sous tes pas d'Antoine Wauters par Carole Darricarrère

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Il était une fois, au sud d’un pays de sécession qui en rappelait bien d’autres, un conte, une hystérie, une fable aussi audacieuse que subversive d’un genre nouveau, sorte de crépuscule sociopolitique cinglant d’actualité émaillé de sas de décompression (interludes), d’ourlets de perles, de cueillettes de cailloux blancs et autres petits fruits (notes de bas de page), de confessions (correspondances), d’empreintes topographiques (cartes et tracés), de gueules cassées grandeur nature, rouleau carnivore d’un miracle païen rehaussé à la faux d’ardentes italiques, chant sorcier exacerbé de désir, claque de langue à ciel ouvert réconciliant tous les genres, la narration et la poésie, la base et le sommet, les jupes sales de l’Histoire et la Littérature, le singulier et le collectif, la société des hommes et la compagnie des monstres, l’aréalité du tempo intérieur d’une enfance décapitée à la racine sur deux générations de malédiction et de grâce et cela, une descente en rappel, une sociopoétique de l’engeance humaine sur fond de Régime dont on ressort décillé d’oblicité, roué de coups comme d’autant de caresses, rincés de sperme et de fiel, bras cassés haletant de tristesse et d’autant d’espoir égale désarmés.

 

De scènes familiales primitives en scènes capitales collectives, récit ourlé-hurlé de brutalité, entaille profonde du rut cuisant d’un rituel de violences perpétré de main de velours, ce méli-mélo de poitrails secs, de « seins lourds toujours luisants », de foutre et de foudre dans lequel le corps est soit une arme tendue à vif entre terre et ciel - corps d’expiation et de flagellation -, soit la rampe de lancement d’un soupçon d’éternité - s’agissant du corps de fusion animal du Petit Prince Marcio et de sa fleur jumelle Léo, images positives d’un négatif familial, médaille d’amour sol-air d’une tribu de quatre représentative d’une ethnie de losers exprimés jusqu’à la pulpe par quelque rouleau compresseur assoiffé de pouvoir.

 

Décimés fourbus le sont ployant sous le poids des labeurs Paps, Mams, et leurs rejetons ni désirés ni attendus, profils de serfs de l’ici-nowhere de quelque ferme en Alabama, en attendant Obama, dogs d’un « pays de clebs » rêvant miteux de Capital et de Progrès, embringués tambour battant dans une quête de bonheur indifférencié version PIB telle qu’appliquée aux quantités vétérinaires, annonce du fiasco écologique de l’Origine.

 

L’enfance est une façon poétique d’habiter le monde battue sur la longueur elle perdure en grâce dans le corps des bêtes à l’égal des simples. Ainsi s’aimantent contre toute adversité deux joncs de virginité, enfants sauvages s’ensablant progressivement dans les eaux amères du collectivement correct, châtiés laisse courte sur les réductions, corps de béatitude séparément laissés pour morts.

 

Cette récitation biblique en prose tendue à grands renforts de poésie « en hommage à la vie, cette horreur délicieuse », cette fable philospirituelle décomplexée made in earth d’Antoine Wauters (et la terre était tout sauf un jardin mais générations de crapules et autant d’ivrognes en floraisons de vermine) est une déclaration de désobéissance et une injonction de liberté œuvrant dès le corps contre l’extrême cécité humaine par foules asservies, hébétées, formatées, castrées, privées de la possibilité d’une grâce. C’est en lanceur d’alerte lucide et en éclaireur rivalisant de vitalité dans la lignée d’un Eugène Savitskaya accents Duras délestée d’elle-même, que l’auteur nous offre ici le vrai, le bon, le vrai livre de bonté d’une relève contemporaine altermondialiste dans sa globalité transgenre à lire d’urgence.

 

Livre de foi en un âge d’or de l’humanité truffé de ferveur, s’y fomente contre toute attente l’acmé lyrique d’une révolution non-violente des endormis menée sorcière de main de femme par « Mama Luna », coach de reprogrammation de quelque communauté essénienne post-contemporaine de guerriers de lumière new age clin d’œil rose rouge (« couleur des chairs ») pour laquelle l’amour est le signe extérieur de la richesse, l’état de joie une marque de fabrique, la Nature un bien commun, le travail une source de développement personnel,  l’écriture et la lecture une thérapie.

 

La femme y est la terre promise de l’homme, le temps y fait office de médecin, la liberté suprême y culmine dans le pardon. Pour le reste, « Patience, vous saurez (en lisant) tout ce qu’il faut savoir. En attendant, il est bon de ne pas savoir. Ce suspens remplace l’éternité. » (Antoine Wauters s’inspirant du poète Carlo Bordini)

 

« Je le dis comme je le pense : vous avez en vous quelque chose qui vous guide. Une force. Un souffle. C’est à çà qu’il faut s’accrocher. À cette force qui vous tient, à cette puissante musique qui vous rend sourd depuis toujours, et qui jetaient vos parents dans des rages noires. (…) Fiez-vous à ces choses : à votre instinct autiste. À vos grandes solitudes. Le reste n’existe pas. »

 

Qu’il en soit ainsi, back to Eden, il était une fois un hymne guérisseur.

 

 

 

 

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