Palabre avec les arbres de Patrick Beurard-Valdoye par Lionel Bourg

Les Parutions

11 déc.
2021

Palabre avec les arbres de Patrick Beurard-Valdoye par Lionel Bourg

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Palabre avec les arbres de Patrick Beurard-Valdoye

 

     S’il ne s’agissait que d’arbres, le livre serait déjà beau, la forêt qu’il traverse (je songe soudain à celle de Longue attente, Charles d’Orléans n’est jamais très loin…), ne se différenciant pas d’une clairière où des hêtres, des bouleaux infiniment mélancoliques, des frênes, des chênes voire des pommiers, des pins, des trembles ou des peupliers, des banyans, des charmes, deux ou trois sycomores, un saule enfin, offrent tour à tour au promeneur la délicatesse de leurs feuillages et l’âpre sérénité de leurs troncs.

     Il en va toutefois d’emblée de rencontres.

     De phrases qui s’échangent, de mots qui se prononcent, de palabre, donc, puisque l’ombre des branches et de leurs frondaisons incite à la parole.

     On prétendra que rien n’est plus banal, plus anodin sans doute, les bois, les tristes bouquets d’acacias ou les haies d’arbustes qui se dessinent à l’horizon retenant chacun lorsque le jour se lève, lorsque la nuit descend, les  âmes rêveuses se targueraient-elles de fréquenter assidûment celles des poètes.
Eh bien, oui !
Ils sont là, Artaud et sa pinède, Walter Benjamin, Guillevic, rôdeurs ou fantômes dont la présence demeure telle qu’elle suffirait à enchanter les impasses que nous arpentons d’habitude, et les vergers (Rilke, toujours…), les rues autrement dépourvues d’agrément comme de mystère où les urbanistes, les promoteurs, les coupeurs d’herbe sous les pieds des enfants, coulent assez de ciment pour y interdire de séjour les arbres qu’aiment les papillons.
L’art de Patrick Beurard-Valdoye ne s’en déploie que davantage, qui sculpte, dégrossit, dénude, ensorcelle chaque essence, des démones ou des filles, des femmes dévêtues en naîtraient-elles alors,

 

les genoux les pieds nus glissant
dans l’hypholome en touffe
dans l’helevelle crépue
et d’une pudeur rudement muette
[m’ordonnant] de prendre part à l’étreinte

 

avant de plaquer leurs « seins fauves à l’écorce ».
     L’on en démordra plus. L’étreinte des chairs, la caresse de l’aubier, les initiales gravées dans un cœur ne seront pas étrangères aux mots menacés par leur propre silence. Adverbes, adjectifs, substantifs, conjonctions, Patrick les juxtapose, les accouple, les greffe les uns aux autres, anges, petits génies sylvestres auxquels il accorde toute latitude sans lâcher la bride pourtant, lui qui, cavalier, cosaque, nomade, dresseur de cavales ahuries, et c’est l’Orient déjà, et la Grèce, un coin de Paris, c’est Venise, n’importe quel endroit où vivre et mourir peut-être, ne cesse d’alimenter l’entretien qu’esquissèrent jadis de jeunes amoureux roulant sur la mousse à l’aube des temps.
     Du coup, l’encre goutte sur la pierre

 

car la poésie qui ramène l’ordre
ressuscite d’abord le désordre

 

de sorte que c’est justement entre cet ordre exemplaire des choses et l’émeute du sens que le poète se tient. Debout, il chante. Palabre avec les arbres, les parle, parle de la langue, la parle, articule ou psalmodie la mort, dit la vie, fleurit quand fleurit la syntaxe et, parce que Patrick Beurard-Valdoye mesure « que la voix était en jeu / une affaire de syllabes et d’oreille dans l’arbre », une voix se fait entendre, la voix, source de tout langage ainsi que le nota Valéry, laquelle ici porte de nom de Paul Celan puis

        

le rythme de la nuit appartenait aux
lointains grillons dans les rangs de ceps
j’ai effleuré du front et du nez
l’écorce duveteuse les mains
en appui et j’ai fermé les yeux séduit
par le « prends le corps au mot
le mot à bras le corps » de Werner Dürrson

 

 des auteurs qu’évoque L’arbre aux clochettes bleues d’Edenkoben qui referme l’ouvrage.
     J’ai bien conscience de ne traduire qu’imparfaitement la richesse de ces pages. Les arbres ou leurs fruits (des marrons, par exemple, et celui que Patrick déposa à la tête de sa mère « à la fermeture du cercueil », juste retour des choses précise-t-il, « rêvant qu’y croisse un jour un petit marronnier », n’est pas le moindre), çà et là se mêlent aux racines du vocabulaire, une espèce d’autobiographie s’initiant à ce stade où l’on ne sait plus reconnaître la matrice lexicale des multiples déterminations qui nous fécondèrent.
     Débattre, ainsi, n’a de terme.
     Exilés, nous ne parviendrons pas à la terre promise, serait-elle ce rivage de quelque mer Baltique où la poésie recèle en son ambre tout ce qui, par elle, en elle, autrefois fourmillait.

 

 

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