nuire # 11 par François Huglo

Les Parutions

26 juil.
2023

nuire # 11 par François Huglo

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nuire # 11

 

 

            Il y a presque « ouïr » dans « nuire », pourtant catalogue de la 6ème biennale internationale de poésie visuelle d’Isle sur Tet. Presque jouir et presque oui en pluie, comme dans le prisme orgasmique du « Jet d’eau » baudelairien : « La gerbe épanouie / (…) / Où Phœbé réjouie / Met ses couleurs / Tombe comme une pluie »). Sous le titre « Une allitération sans altération », Francesca Carrua voit et entend nuire entre « bruire » et « luire », entre ouïe et vue. Du bruit dans la nuit fait sortir les lettres du « morne abécédaire » où elles sont confinées. De la nuit dans le bruit, une « douce opacité », enveloppe « la compréhension violente de la transitivité pour laisser place à ce que l’infini processus d’association soulève dans nos corps » : à des « bruissements intérieurs ».

 

            Pour une « gerbe épanouie / En mille fleurs », André Robèr a collecté des œuvres de vingt et un pays, « où la langue ne se parle pas mais se regarde » et nuit gravement à l’ennui. L’Argentine (Samuel Montalvetti, Maria E. Quiroga, Ariel Gangi, Claudio Mangifesta, Sylvio de Gracia, Claudia Garcia) introduit l’ex-libris pour poser la « question de la transitivité de l’image ». La France (Frédérique Guétat-Liviani, Julien Blaine, Vedrana Donic, Ghislaine Lejard, Christophe Massé, Daniel Cabanis, Nicolas Giral, Solange Clouvel, Joël Frémiot, Mary Nahima Juillet Dakota, Patrice Cazelles, Antoine Chipriana, Remy Penard, Michel Della Vedova, Anne-Marie Jeanjean, Joëlle Thépault, Antonio Sà Poès, Fabrice Caravaca, Ronan Charles) pratique le « brouillage informatique » par lequel les mots devenus illisibles sont « des matériaux plastiques ». La Hongrie (József Biró) et La Réunion (LN Coré, Sophy Rotbard, Sophie Hoarau, Cathia Personné) favorisent le « rollage » encadrant « une image / lettre » par « des bandes unies ». Russie (Alexey Paragygin, Alexander Limarev), Uruguay (Clemente Padin) et Ukraine (Serhiy Wolkonsky) éprouvent la menace et le poids de la ligne droite, alors que l’usage du portrait photographique par les États-Unis (Mark Sonnenfeld, John M Bennett, Subreal Alchemy) dresse « l’humain » contre « tout automatisme ».

 

            L’Allemagne s’illustre par Jurgen O. Olbrich, Elke Grundmann, Eberhard Janke, Surgar Irmer ; la Belgique par Brigitte Bracq ; le Brésil par Dorian Ribas Marinho, Roberto Keppeler, Hugo Pontes, Vania Machado de carvalho, Sergio Monteiro de Almeida ; le Canada par Toan Vinh La, la Catalogne par André Robèr, Ysabelle Erre-Serra, Gilles Olry, Estève Sabench, Francesca Caruana, Pierre Figueres, Nicolas Gonati, Qim Domene ; l’Espagne par Sabela Bzana, Manuel Xio Blanco, Mikel Untzilla, Luis Mariza Labrador, El taller de Zenon, Juan Fran Núñez Parreño, Gustavo Vega Mzansilla ; la Grèce par Demonthenis Agrafiotis ; la Hollande par Piet Franzen, Sidac, Rod Summers Vec ; l’Italie par Lancilotto Bellini, Maggi Ruggero, Emillio Morandi, Bruno Chiarlone, Maya lopez Muro, Roberto Scala, Giovanni and Renata stra Dada, Cinzia Farina, Claudio Roméo, Roberto Formigoni, Serse Luigetti, Ruggero Maggi, Anna Boschi, Giovanni Fontana, Sara Vattano ; le Japon par Keiichi Nakamura, Ryosuke Cohen ; la Lituanie par Mindagas Zuromskas ; le Mexique par Monica Sanchez Vergora, Ignacio Navarro Cortez ; la Pologne par Anna Klos, la Suisse par Lorenzo Wolkonsky.

 

            Notre première expérience de la lecture n’est pas linéaire : affiches (« qui chantent tout haut / Voilà la poésie ce matin », proclame Apollinaire dans « Zone », et Rimbaud dans « Alchimie du verbe » : « un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi »), bandes dessinées, dessins de presse, livres illustrés, avec lesquels pour les plus jeunes les écrans de télé ou d’ordi ont créé de nouvelles constellations, précèdent les lignes d’écriture qui ne les suppriment pas. Comme le dit Mallarmé, le vers (« forme optique de la pensée » selon Hugo) est déjà la disposition spatiale qui introduit le blanc (ce n’est pas une raison pour l’y noyer), et la lecture est « espacement » : bonds et gambades « dans tous les sens », découpages et collages entre les lignes. La revue touche en chaque lecteur à la fois le pré-lecteur enfant pour qui le signe typographique se fondait dans l’image, et les couches géologiques qui se sont superposées pour former sa mémoire « cultivée » : il pense à Monet,  Matisse, Klee, Miró, Calder, Arp… Magritte et Topor, Dada et les collages d’Hara-Kiri, se rejoignent dans l’humour. Et rien de cela ne veut « ne rien dire ».    

 

 

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