Rivière et Alaskas de Françoise Clédat par Carole Darricarrère

Les Parutions

14 nov.
2019

Rivière et Alaskas de Françoise Clédat par Carole Darricarrère

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« Ne pas partir est faute monastique », « L’ailleurs, tout l’ailleurs vient par les livres », « Arriver en ne pas arriver est mon être-en-route / qu’identifie véridique Alaska », lisais-je à la veille du grand (r)éveil d’un nouveau départ, « lieu commun du partir sans partir - moi rivée à la rive / n’y accède que par le travail des autres » dans la foulée mentale de l’appel sauvage de la lecture, autant dire par défaut, faisant après Rimbaud ‘tresse avec son siège’ et retraite dans le livre finesse d’élégance et maturité poétique.

 

Il faudra passer de l’or à l’antimoine par trois fois, et après le réduire en chaux ; (…) il s’élèvera une terre feuillée de la couleur des perles orientales ; il faut sublimer de nouveau jusqu’à ce que cette terre soit très pure : alors vous aurez fait la première opération du grand œuvre (Michel CARON, Serge HUTIN, Alchimistes, 1959).

 

Tant va subtilement le mot à l’immersion et l’immersion à l’alchimie, par étincelles mêlées, le tirant au courant, par monts et inaperçus, genèse par vaux arrivée, par accumulations d’infra, lectures infusent, font linceul et retour, font nouveaux fruits de pénétrante noblesse, font poème de haute couture, de l’accueil à l’écueil, de la chute au consentement, nous frottés de mirages à maturité, du glas brûlant de l’eau de l’un à l’expansion de la forme à renaître en soi rebattue, nous alias diffractés de l’accès commun, par personnages interposés, par sudation de sensations, par corruption d’éléments mères, par procuration de soifs, peau à peau par perfusion de lecture, ciseaux le mouvement fixatif de la chose intimant le devenir autre, par menues collisions de perméabilité candidates au départ, par contagion d’inspiration, par empreinte et contusion, faire éclaboussure fait intelligence autour de ce qui « reste hors la vue », fait « tricherie » contemplative, dès lors que « physiquement rien ne sera franchi ».

 

« Point n’est besoin d’ailleurs » pour voyager ; « Une forme suffit. Pour que se déploie et se referme la beauté. Au-dessus la nuit étoilée. » ; « à perte de souffle le désert s’internalise », Françoise Clédat n’étant pas avare de ces coups de dés. 

 

Noyau de la genèse, il est question d’une petite enfance de l’intériorité aux prises avec l’expérience du monde - « quand écrire était innocence » -, de sédimentations de latences, de porosité, d’une hypersensibilité à la lecture ambiante, de mises en veille, de temps de lactation, d’une intratextualité, de confrontation et d’ostalgie, la Nature étant «  polyphonie impossible à transcrire / Et pourquoi vouloir la transcrire ? », « À l’autre en guerre que pouvoir la perfection de cette paix ? ».

 

Dans l’ordre des questions, comment un ‘lieu commun’ (rivière, géographie, livre) devient-il l’autre chose d’un lieu singulier, fait-il exception, s’agrège-t-il à une intimité, fait-il sens et énigme dans le faire sien, fondation patine et office de singularité, comment « mots originaires » et « paroles premières » font-ils bouchons pluriels et appropriât ?

 

Quelque chose ici chavire à la lecture dans l’écriture ; le poème fait œuvre de charries, le sang épreuve d’humilité, la concordance retour sur la légitimité ; la sensation rare s’abstrait de l’action, l’imago se rassasie d’influences, la poésie exsude une ordalie, fiance funérailles, transfuse réalité ; et mourir qui est goulot de grande retenue invente la force et transpose la valeur reconnue sur un plan supérieur de réalisation, opérant une sublimation.

 

      «  Faire rivière ou amour
      sont même transfusion
      d’être
      vol en aquatique
      bergeronnette ou abeille
      parallèles et méandre

       et puis d’un coup le froid »

 

Virtuellement parvenue en évasion par le petit pont philosophe de l’expérience de la lecture qui  justifie de  séparer l’Alaska en alaskas et de le fondre en « nouveau(x) réel(s) d’alaska », de convertir l’aventure physique et la sensation corporelle en intériorisât, « Passer par le Nord est un ours blanc » et mourir page à page, bien qu’aucun organe n’y participe, le noeud nord d’une vie rivée en amont à la berge, « Odyssée comme audace », épée de Damoclès autour la contraction panique pressentie d’une nuit de l’âme, « Apesanteur d’être sans y être, chaque pas dans la neige cependant coûtant. »

 

De rives en extrapolations de givre et de feu, de récidives en perfections monastiques, sur les traces de Jack London dans le sillage capricant de l’épreuve et de la lecture, Françoise Clédat, « la transformée de rivière », signe aux éditions Tarabuste le diamant saturnien d’une altérité rare et singulière en contre-point d’un boisseau étoilé comme preuve d’une longue complicité.

 

 

 

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