Ingmar Bergman, Carnets 1955-2001 par René Noël

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23 nov.
2022

Ingmar Bergman, Carnets 1955-2001 par René Noël

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Ingmar Bergman, Carnets 1955-2001

Backanterna

De 1955 à 2001, Ingmar Bergman écrit dans des carnets à heures fixes, ne serait-ce que pour dire qu'il n'a rien à dire. Il y inscrit nombre d'esquisses de ses pièces de théâtre, de ses films tournés ou abandonnés, moins souvent nés de ses états mentaux et de ses sentiments que ceux-ci à la merci des émergences, embryons d'images sortant l'homme véhicule de toutes sortes d'appétits, de l'indifférence. Notes brutes qu'il ne relit pas, à l'exemple des esquisses de Persona dont les traits corporels, lacunaires, mobilisent de loin en loin la lumière, elle qui sur les plateaux de cinématographe prime sur toute idée. Premiers signes également du film Le Visage, 21 avril 1958, une petite orgie, pleine d'excitation. Mais scherzo. Tubal, l'assistant, est entré, il fait défiler des images avec la lanterne magique. Dans l'obscurité, il se passe toutes sortes de choses, l'un des films que Bergman juge à peu près réussi où toutes ses passions se croisent, le théâtre, le cinéma, le mystère et la magie gagnant, quittant les uns et les autres, soit une sorte d'énergie porteuse de formes futures que le metteur en scène, tant au théâtre qu'au cinéma, traque avec obstination. Le cinématographe, art plus technique que le théâtre, étant d'autant plus un art d'équipe, ainsi Gunnar Fisher et Sven Nykvist, chefs éclairagistes d'Un été avec Monika, 1953, pour l'un, de Les communiants, 1963, et de Persona, 1966, pour l'autre, sont de fait cocréateurs des films de Bergman, eux qui privilégiés sur le plateau passent des heures en sa compagnie, le tournage, troisième tiers temps avant le quatrième acte, le montage, nouant ensemble l'émergence de formes et l'écriture des scénarios qui reprend à zéro les fragments dispersés au fil des ans dans les carnets.

 

Nuit. Vent et douleur dans le genou. S'il s'avère que je dois souffrir pour quelqu'un d'autre, alors qu'il en soit ainsi, mais dans le cas contraire, je m'élève vivement contre tout cela. Vulnérable., 27 février 1959. L'ironie, le baroque, l'auto-dérision ne sont jamais loin - Père, voici ton fils ! déclare ainsi le futur meurtrier du film De la vie des marionnettes, réalisé à Munich en 1980, après avoir tenu un pied dans le vide, prêt à sauter et tout à coup ramené à la raison par l'ami appelé à la rescousse par sa femme, sauter dans le vide, pourquoi pas ? mais en mourant de froid !... il sort, revient et lui tend un manteau, geste qui suffit à le ramener à la raison - dans ses livres autant que dans ses mises en scène de théâtre et de cinéma, étalons vrais. Ainsi qu'il faut être selon les circonstances et a minima au moment voulu certain du doute pour en faire l'expérience, le vide intérieur, la dépression, la folie garante d'une raison bien charpentée - image de l'enfant inquisiteur, démon de L'heure du loup, 1968, noyé par le peintre qui brade sans remords son bon sens lorsqu'il constate que ses mains ne savent plus peindre - et enfouie, bien calée dans mon ventre écrit-il à la volée, détaché, ne sont ni feints, ni fins en soi.

 

À l'image de Srindberg, son frère, l'un de ses doubles avec Erland Josephson, acteur, directeur du théâtre dramatique de Stockholm et écrivain, son contemporain et ami, il sait que le filon expressionniste a fait son temps, se voit lui-même, je suis un cinéaste des années 50 dit-il volontiers, je ne suis pas Lars Norén ! L'épure passe par le visage penché, ellipse dialoguant, faisant corps avec l'espace libre, quand tous les rapports humains sont possibles à chaque instant, ainsi qu'Au-delà du miroir l'image, forme d'échange, objet d'études et d'attention que Bergman substitue aux plans moyens en accord avec Sven Nykvist. Accouchée au forceps, après des films qu'il juge empruntés, datés, mal conçus, tant le cinéma exige de lui, écrit-il, des prouesses, comparé au théâtre, Au cinéma, il m'arrive de faire face à de véritables catastrophes. Au théâtre jamais., 25 mars 1957. La cyclothymie fêle les paradoxes, eau de vie des tragédies, Nous n'avons jamais été aussi proches que cette nuit. La solitude de l'empoisonnement au plomb. J'ai peur de ce qui est et de ce qui adviendra. Je suis fatigué des sentiments., écrit le Bergman pessimiste le 2 décembre 1966, Il est agréable de penser que je vais finir par réaliser Cris et chuchotements, chef-d'œuvre aux contours encore indéfinis. ... Le monde, pendant ce temps, continue de tonner, de rugir, de se déchaîner. Qu'il fasse ce qu'il veut, je m'en fous complètement. Cela donne : Liberté. Équilibre. Tendresse. Joie. Amitié. Lien. Proximité. Paresse. Ordre. Les jours passent et s'enfoncent dans l'automne. ... J'aime tant la vie ! ..., 22 août 1970, lui réplique le Bergman solaire, soit les instruments humains du metteur en scène des Bacchantes d'Euripide, 1993, Backanterna, qui tient bien aux côtés d'un Giorgio Strehler, d'un Tadeusz Kantor, l'édition de ces carnets valant levée d'enthousiasme, vague de fonds, pour les mises en scène filmées par l'oestre de Stockholm à éditer d'urgence !

 

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