K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, n°23 par Tristan Hordé

Les Parutions

07 janv.
2023

K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, n°23 par Tristan Hordé

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K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, n°23

 

Il est des écrivains, toute une littérature que l’Occident connaît peu : la mode du bouddhisme n’a pas conduit à beaucoup de traductions en français. Bénédicte Vilgrain, outre une grammaire du tibétain (en cours), a publié deux volumes de contes aux éditions du Théâtre typographique qu’elle a fondées. Koshkonong donne en bilingue un poème d’un moine poète et peintre, Gendun Chopel (1903-1951) ; le texte est ancré dans la vie, le poète se livrant à une critique des mœurs de son temps. Il fustige en effet l’hypocrisie de ceux qui feignent la dévotion par intérêt, mais il sait que son engagement, son « franc parler » le fera rejeter d’une partie de sa communauté. Rien de nouveau pour le contenu mais la forme doit lui donner un caractère particulier en tibétain puisqu’il s’agit d’un acrostiche.

Une planche de Gil Joseph Wolman (1929-1995) occupe la quatrième de couverture : une ligne verticale, légèrement courbée, partage en deux un collage dont le texte coupé à quelques endroits est cependant suffisamment lisible pour qu’on lise le projet d’exalter une action ouvrière, le sabotage de rails de l’express Varsovie Paris. L’artiste, longtemps un des membres du mouvement lettriste, efface des lettres dans les mots, en partage d’autres dans la planche, détournement de l’écrit qui invite à s’interroger sur le sens de ce qu’est un texte, jamais donné, pas plus qu’à la lecture d’un acrostiche.

Les extraits de Désuivre de la poète et traductrice américaine Lyn Heijinian (née en 1941) sont composés de vers plus ou moins longs sans rapport visible entre eux (« Il y a eu de choses, presque rien, qui.../ Je vous ordonne de vous sentir libre de vous servir de glace qui fond ». Se dégage une vision éclatée du monde où tout ce qui s’y passe, y est pensé, est perçu sur le même plan. La seule liaison lisible est possible entre une citation de Brillat-Savarin, pour qui la bonne table est pour les gens riches, et une recette de sauce pour un plat de préparation complexe.

On découvre un autre travail formel avec le peintre Jean Le Gac et son adresse de « compliments » à des étudiants, aussi bien à propos de leur apparence, de leur habillement, de leurs réactions dans la vie que de leurs choix pour leurs études (« ... à celle que sidère la réalité d’un pot de lait frais (...) à celle au buste juvénile de guerrière que seul un lacet habille avec piercings aux bouts des seins (...) »). Cette revue hétéroclite, conformément à la variété des uns et des autres, est partagée par une longue parenthèse autour de Christian Boltanski dont la mort était récente. Tous deux proches et adeptes du "narrative art", ils s’étaient éloignés et, en guise d’hommage, Le Gac propose, écrit-il, de « l’entourer (...) de toutes les aspirations à l’art de ces jeunes gens à qui j’écrivais, en pensant à son idée d’une œuvre finale joyeuse ».

Une suite de poèmes (ou un seul poème intitulé "La nature des actes transitifs") de Claude Royet-Journoud ouvre la livraison de la revue, partagée par une prose et achevée par une autre. Il s’agit de strophes en vers libres, séparées comme si « les eaux basses de la mémoire » échouaient à assembler des moments de vie, ne pouvaient restituer du vécu que des bribes qui ne peuvent être lues que comme une « énigme », le contexte impossible à reconstituer — « Il  cherche un jardin sans pressentir /l’évanouissement du point d’angoisse /(excroissance du mur) [...] ».  Les proses sont différentes, dans l’adresse au « Tu », c’est la nécessité de la présence de l’Autre, de son regard qui permettent de vivre, d’être, et de la manière la plus exigeante : « Tu attends d’être vu pour ne pas mourir ». En même temps, la suite met en scène lettres, nom, adjectif (« un bloc / lettre par lettre / n’est que la poussière d’un nom »).

 

Voilà un sommaire très varié qui donne à explorer la manière dont on peut déranger dans l’écriture un ordre convenu, ceci dans le temps et dans l’espace, en tibétain comme en anglais.

 

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