Lundimatin et Teste, véhicule poétique (revues) par Bertrand Verdier

Les Parutions

10 févr.
2018

Lundimatin et Teste, véhicule poétique (revues) par Bertrand Verdier

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Lundimatin et Teste, véhicule poétique (revues)

Il est des parpaings frais comme des clercs d'antan

si la littérature est une fête, qui pour y voir encore un piège possible ; un enjeu ?
(Nathalie Quintane : Tomates)


Tu vois, pour parler en ces temps chaotiques, il nous faut des munitions
(Odysseus Elytis : Marie des Brumes)


Il vaut mieux laisser au mot la signification du mal. Pour employer au bien un mot qui appartient au mal, il faut en avoir le droit. Celui qui emploie au mal les mots qui appartiennent au bien ne le possède pas. Il n'est pas cru.
(Isidore Ducasse : Poésies II)


« En poésie, c'est toujours la guerre. »
(Cellule Max Stirner [Sigonce]. Communiqué n° 2 : Axolotl, n° 2)


Je maudis la poésie conçue comme un luxe
Culturel par ceux qui sont neutres
Ceux qui, en se lavant les mains, se désintéressent et
S'évadent.
Je maudis la poésie de celui qui ne prend pas parti
(Gabriel Celaya : La poésie est une arme chargée de futur)


cette vérité qu'on ne saurait affronter frontalement dans des langues […] vouées à la sélection cathodique stabilisée d'une communication sans restes
(Christian Prigent : À quoi bon encore des poètes ?)


« Donner un sens plus pur aux mots de la tribu »
(Michel Legrand [mars 1986] ; cité insourçamment in Le Cahier du Refuge, n° 68, septembre 1998, p. 24)


Quelle espèce de révolution dite dans la langue de la Révolution peut bien avoir lieu, sinon une révolution de Révolution, en interne, en causerie intime […] ?
(Nathalie Quintane : Tomates)


Joseph Lebon : « Le tribunal révolutionnaire [...] jugera d’abord les prévenus distingués par leurs talents »?
(Jean Paulhan : Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres)


construire les conditions de possibilités d'une refondation de la puissance d'arrachement dans et par la langue
(Barbara Métais-Chastanier : Manifeste concret)


Miroir de la murène ! Miroir du vomito ! Purin d'un feu plat tendu par l'ennemi !
Dure, afin de pouvoir encore mieux aimer un jour ce que tes mains d'autrefois n'avaient fait qu'effleurer sous l'olivier trop jeune.
(René Char : Fureur et mystère)

            Il est des pans de romans (tels le petit pan de mur de chaux du fond, jaune-orangé) dont l'on se carapate indécemment et à tort, autant qu'il est des vers auto-empêtrants que s'ingénier à congédier se voue par avance à l'échec. « Dépagements, déganguements, [...] dégenrements » exhorte d'emblée Teste - d'autres affineraient : « intersémioticité » et « intermédialité ».

            Teste (véhicule poétique) entend « accueillir [...] tous les états, les formes et les métamorphoses de la poésie […] une des gageures de la poésie d'aujourd'hui», et « faire sienne l'expérience du poème qui s'affranchit de la page au moment où il libère son message ». Lundimatinpapier se présente comme un recueil, « archives [par lesquelles] le passé ne nous donne pas de leçon, seulement des exemples » (p. 15). Au-delà, les conclusions des deux éditoriaux assignent la motilité comme elle aussi vitale  :

« Se métamorphoser est la seule fidélité à soi praticable. Tant pis pour les doctrinaires » (Lundimatin, p. 15),

« Bienvenus dans les territoires mobiles de la poésie. » (Teste).

            L'évidente urgence d'un foquisme littéraire, ou au moins langagier, suffit à rapprocher ces deux revues où se réfléchit la problématique de la dépossession / réappropriation de la langue. Teste comme Lundimatin abondent en commentaires, observations et remarques, en incises, incidentes et bifurcations : la pratique de la langue s'y désigne politiquement dévoyée, confisquée, aliénante, incriminante, ou, à l'opposé, poétiquement didactique, émancipatrice, transgressive, libératoire et potlatchable :

« Nous ne sommes pas des épouvantails, nous sommes doués de parole et de pensée et nous comptons bien en faire usage envers et contre tout étouffement » (Lundimatin, p. 115),

« conjuguer à & avec ttes les Humain(e)s » (Teste, Alain Robinet),

« toute poésie est poésie de performance

comme n'a pas tout à fait écrit goethe        hélas que de poésie

n'est que poaisie de pérorance » (Teste, Jean-Pierre Bobillot).

            De concert, les deux revues répètent alors l'inévitable constat :

« le cours des mots est tombé au plus bas ; nul ne leur fait plus crédit. On les a trop fait mentir. » (Lundimatin, p. 187-188),

« acronymes = tous anonymes

shootés à la novlangue » (Teste, Alain Robinet),

« les nouveaux dialectes chassent limites, signes illégitimes

conscience d'inévitabilité, conversation impossible » (Teste, Désmoshtène Agrafiotis).

            Allumer des feux signifiera donc aussi le débordement des « bornes du bac à sable sémantique où il convient de se cantonner quand on entend "faire de la politique" de nos jours » (Lundimatin, p. 157). L'ironie, les « traits d'humour et [une] relative audace face [aux] inquisiteurs » (Lundimatin, p. 13, cf. aussi et entre autres p. 165-172), autorisent la soustraction au récit imposé, l'abolition de toute restriction sémantique. La déflagration va jusqu'à interdire l'entendement des ordonnanceurs du sens unique et balisé : « les bleus, qui bien vite renoncèrent à suivre quelque chose qu'ils ne savaient pas nommer » (Lundimatin, p. 120). Détournements, dérivations et autres tropes permettent ainsi de requalifier les mots, drosser le lexique et démultiplier les sens, de clamer et réaffirmer rugueusement irréductible leur plurivocité. Les exemples de Baudelaire, Valéry (Lundimatin, p. 154 et 233), ou Rimbaud, Verlaine, Mallarmé (Teste, passim) étayent ici une confiance inébranlée : celle envers les prérogatives poétiques lorsque presse toujours-déjà d'« assister à la dérive du mot » (Teste, Julien Blaine).

Depuis trente ans il n'a pas fait un hiver aussi terrible
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