TXT 34 Travelangue par François Huglo

Les Parutions

24 déc.
2020

TXT 34 Travelangue par François Huglo

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TXT 34 Travelangue

 

            TXT canal historique ne saurait stagner. Philippe Boutibonnes  et Raymond Federman sont nés en 1938, Christian Prigent en 1945, Pierre Le Pillouër en 1950… Egor Zaytsef en 1995, Martine Forestier en 1996. Mais le temps ne fait rien à l’affaire. Qu’ils aient vu le jour dans les années 60, 70, 80, ou avant, ou après, un même courant porte et mêle, depuis Rabelais et Jarry, les TXTeurs à travers le « champ poétique français » décrit par le guide touristique : « plus de 13000 éditeurs, 15 millions d’auteurs (…). Lyriques printaniers, blancs métaphysiciens, performers survoltés, objectivistes des villes et des champs, monteurs situ-actionnistes et élégiaques en retraite bucolique ». Mais TXT n’est pas une revue poétique. Plutôt satirique, au sens où l’entend Jean-Pierre Bobillot dans un chapitre de son essai de 1989 La Momie de Roland Barthes, « L’hypothèse de la satura » : « Mais il est une pratique textuelle qui, du fond des âges et d’avatar en avatar, réalise cette fiction d’un dire résolument hors-lieu, toujours ailleurs, étrange & étrangère, ludique, insaisissable, inassimilable par aucun discours, ne relevant d’aucun genre & les confondant tous, ignorée des histoires & des manuels de la littérature, & connue des latins sous le nom de "satura" ».

            Il y a du « zoom avant » et du « travellingue arrière » dans les extraits du Panoptikon de Philippe Labaune qui « danse avec les caméras sous surveillance » et cite Michel Foucault : « Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible ». Confinés ou pas, nous y sommes. Les extraits de Dead end de Stéphane Batsal sont autant de dépositions féminines qui se recoupent, de variations sur les mêmes thèmes (bleu portière, capot ou jeans, essuie-glaces, lune) hantées par un « bizarre mec », un « mec comme tous les mecs ». Antoine Boute voyage « en volant de-ci de-là des phrases à tout le monde », telles que « J’ai porté plainte contre mon grand-père pour agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans, j’ai raconté cette histoire à un inconnu dans le bus, il en a parlé dans son livre ». Ou « Je me suis endormie à une fête et me suis réveillée dans une partouze ». De Scylla en Charybde, d’anglais en français, d’Ambre en Opale et de soap en sopalin, Marine Forestier conte « une histoire de femmes », avec « galipettes sur lit queen size » et « marge asexuelle à la saveur umami ». Les Slogans de Paul Morris cuisinent (font avouer) les flatteries publicitaires (pubs pour l’égocentrisme), l’auto-entreprenariat uberisé stade suprême du capitalisme, la servitude volontaire devenue co-tyrannie imposée (la loi : « autisme, schizophrénie, paranoïa, dépression, culte de l’image de soi »). Adrien Lafille confirme, dans Milieu (à paraître) : confinement de solitudes juxtaposées, entre prison et hôpital, n’échangeant aucune parole, en un monde où (pour son malheur) l’ignorance programmée aiderait au bonheur. Sonia Chiambretto : « On devient agressifs / Presque fous ». Même, et surtout, les migrants : « Si toi tu ne veux pas être un dubliné tu dois cramer le bout de tes doigts (…) Les Grecs nous amènent jusqu’à la frontière turque / Les Turcs nous prennent, ils nous ramènent à la frontière grecque ». Christian Jalma dit Pink Floyd dit « les mystères de la banalité », son « pouvoir politique et imaginaire ». Le Dictionnaire de voyage de Jean-Paul Honoré classe « l’étranger résident (…), la banque, la musaraigne, le néflier, le parti démocrate », parmi les « Trésors sacrés, transmis au fil des générations ». Gwerz Garnie, de Typhaine Garnier, mitonne en quatrains d’octosyllabes un coq à l’âne en mixant des potins façon tante Léonie ou Françoise (cruauté d’une double pendaison : de la chienne à la cravate, de son maître à la laisse), sans oublier les madeleines (« è zont pas doré ») ni le narrateur (« les nuits y s’cogne à ses fantômes / une vraie madeleine à hématomes »). Egor Zaytsev (poète russe traducteur de Rilke et de Brecht, a adapté Barthes pour la scène) affirme l’être, mais être quoi ? « À VOS ORDRES / repos ! ». Christian Prigent-Chino « au pays des Gorgibus », c’est Rabelais au pays du management et du marketing, s’empiffrant de leur novlangue : « optimiser l’ingénierie », « fluidifier les process », « innover en rupture », « toiletter les rendements », « uberising du coût social ». Ricardo Domeneck (né au Brésil, vit à Berlin) pratique la traduction « en tant qu’exercice érotique ». M.J. de Moraes, traducteur d’Augusto dos Anjos avec le concours de Typhaine Garnier, conseille de le relire dans ce monde « en agonie d’imagination politique ». Les paragraphes de Philippe Boutibonnes (Hideux Z’instants) sont des nouvelles, des portraits (des CaracTXTères) à digressions et pas de côté : un maître Écarts. Aphorismes définitifs : « La mort ne commet pas d’erreur », ou « Dieu est trou » (c’est ainsi que le décrit Hugo dans le poème qui porte son nom). Bruno Fern dit Philippe Boutibonnes en six syllabes-facettes : phi comme phidèle, li comme limage, ppe comme trappe (à la), Bou comme hi Bou et comme Bouchant, ti comme ouistiti, bonnes comme à rien (« qu’au bord des lèvres »). Raymond Federman voit apparaître Erectus : « seul nous ominide en uni versel copulluler dface ». Patrick Quérillac, En temps normal, constate que « le poète du vide oublie de ne rien faire et de se taire ». Dans la Cosmologie Onuma Nemon, « la Neige retient le souffle des lacs / Et la Pensée, toute ombre, / La Marche » (1968). « L’Amour, c’était le Voyage, l’arrêt c’est la Mort » (1999).  

            Mais le plus satirique de la Satura tient dans ses pages rouges, ou plutôt rosses, leurs « craductions » de l’italien, du latin et du breton, et surtout leurs guides touristiques. Visitez « Billom où habita Georges Bataille », ses « confessionnaux et ses isoloirs », avec « sang véritable sur les prie-Dieu », son œil « détaché de la tête du Christ de la nef » et « mis à sécher dans un sac de billes d’agathe ». On the « Rimb’road » again, visitez « ses lieux d’accroupissements supposés, rimbourlinguez sur les traces du génie ! ». Une « médaille de Sainte Isabelle » vous sera offerte ! Sur les traces de Debord et du situationnisme, participez aux « hurlements en faveur du hurlement », à la « recherche de films à détourner, suivie d’ateliers dans le cadre d’un camp de rééducation au non-travail » ! Venez « recharger vos dynamos » à « l’Ubu’s cottage », où « les consciences et autres animaux de compagnie ne sont pas admis ». # balancetonmarquis : 120 jours chez Sade, avec en soirée « cafés philo au boudoir ». Aux Tzara Tours (Zurich, Cabaret Voltaire), « Hugo aux cymbales, Sophie & Jean à la harpe ».  Week-end à Meudon « jusqu’au bout de la nuit », mais « il faut sortir les poubelles. Israélites non souhaités » (à rapprocher des cinq jours « sur les traces de Thomas Bernhard », avec « randonnée philosophique en Forêt-Noire à la recherche des bouses heideggeriennes (parcours adapté pour personnes à mobilité intellectuelle réduite) ».

            « Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C’est de la fantaisie, toujours ». (Arthur Rimbaud).

 

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