Lettre publique à Laurent Cauwet par Philippe Beck

Les Incitations

17 sept.
2009

Lettre publique à Laurent Cauwet par Philippe Beck

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Laurent,



je retiens cette lettre depuis longtemps ; elle ne devrait pas te heurter, cependant.Le sentiment du rôle de parasites m'engage à la faire publique.Il ne faut pas la retenir. Nous avons recommencé à parler ensemble il y a deux mois,rejouant avec l'idée d'un livre, et remontant un peu la pente savonnée.
Ce fut ponctuellement et posément un téléphonage après un silence qu'on peut dire important. Important pourquoi, et pour qui?
Quoi ou qui a mis du silence brutal et de l'espace entre ton souci et le mien?
Pourquoi, déjà, la forte recherche d'il y a douze ans, avec son merveilleux? Je me permets d'employer des motsqui amuseront bizarrement certains de tes proches de maintenant. Questions caduques et mièvres, diront-ilsavec ton accord. Et de boire une gorgée grave. Non? Je m'attache ici au pourquoi seulement. Depuis notre rencontre marquante, à l'époque où,comme disait finement Jean-Pierre Boyer, je cherchais un éditeur, l'amitié a eu des hauts et des bas, dans la continuité du travail fait,ineffaçable. Il faut penser les bas par les hauts. Ton enthousiasme pensif en réponse aux premières pages de Chambre à roman fusible, je ne l'oublie jamais ; il mérite une gratitude définitive, qui m'est facile. La suite du travail avec toi, jusqu'à l'écart obscur, et la recherche du lieu libre qu'est maintenant la collection Poésie de Flammarion, par la rencontre d'Yves di Manno, si différent de toi, cette suite qui est aussi notre suite,a eu des moments forts et importants, dans le relais de la tradition d'avant-garde (pour employer ta notion). Puis, une machine s'est emballée, démontée, des difficultés théorisées, une logique de l'aggravation nous ont éloignés avec des degrés. La gratitude est intacte. Je ne doute pasde ton "goût" (autre mot pour le hoquet des durs), et espère seulement n'avoir jamais été à tes yeux, dans le secret de la conscience éditoriale-critique, un "supplément littéraire de qualité", un coefficient esthétique-académique, un facteur d'acceptabilité dans le champ. Mais qu'est-ce que mes textes (le mot poèmes, tu le défendais) auraient bien eu la fonction d'autoriser, ou de faire accepter dans ta maison, et au dehors? Lacerise n'a jamais de mal à se faire accepter du gâteau, d'autant moins qu'on l'avale en premier. Mon travail n'a donc jamais été cerise. Pour le pireou le meilleur?



Fidèlement à toi,


Philippe