Bande de Gaza de Sylvie Nève par François Huglo

Les Parutions

09 déc.
2015

Bande de Gaza de Sylvie Nève par François Huglo

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      « Vaduz » n’a jamais été lu à Vaduz, précisait Bernard Heidsieck en mai 1989. Sylvie Nève « n’a jamais mis les pieds en Palestine, ni vous non plus », disait une journaliste de Radio France à Éric Daubresse, compositeur de l’oratorio « Bande de Gaza » tiré du poème. « Mais si », répliqua Sylvie Nève, « à pied d’œuvre », « depuis tant d’années » et « tous les jours » ! Certainement pas à la manière des touristes ou des reporters accompagnés dès qu’ils posent le pied hors de l’hôtel. Sylvie Nève met le pied de la lettre dans le plat de la langue, et ce dès la dédicace :

 

 

 

 

 Bande de Gaza
Poème de partout

                               à Bernard Heidsieck
                               à Mahmoud Darwich

 

      Un dialogue s’établit entre ces deux noms. Heidsieck n’a-t-il pas écrit Derviche / Le Robert (Éditeurs Évidant, 1988) ? Le poème Vaduz, lui aussi, tourne autour d’un nom, par cercles concentriques tracés sur une carte du monde, enroulant des noms d’ethnies (pas de nations) sur un papyrus de plusieurs mètres qui, déroulé, s’accumulera sur le sol, marquant pour l’auditoire « le poids, la variété, la beauté, l’affolante ou paniquante richesse humaine » (B.H., mai 1989). « Autour de Gaza il y a une bande / autour de Gaza il y a il y a tout autour de Gaza » rappelle l’incipit du poème de Bernard Heidsieck , « Autour de Vaduz il y a des Suisses », et les échos qui le rythment. Sylvie Nève tourne autour du mot « bande », le fait parler : « j’suis pas d’leur bande » (on entend le racisme, l’apartheid), « j’suis d’là-bas par la bande » (on entend l’exil des réfugiés, la voix de Nève se fait l’écho de celle de Darwich). Autour de Gazaoui, il y a oui, ouïr, gazouiller. « Ne gazouille pas l’alcyan ». L’alcyon, « oiseau cher à Thétis » qui pleure dans le poème de Chénier la jeune Tarentine disparue ? Non, l’alcyan, un certain bleu « horizon hagard ». Emmanuel Séjourné a composé Alcyan, pièce pour percussions et chœurs, à partir d’un premier travail de la percussionniste Sylvie Reynaert sur le poème de Sylvie Nève. Celle qui écrit

« Bernard Heidsieck, poète par la Banque, à Vaduz
Mahmoud Darwich
dans la banlieue de Babel »
tourne autour du mot « tour » :
« une tour de Babel a remplacé
la distance qui sépare l’utopie de la réalité
les terres qui ont été confisquées
les maisons qui ont été détruites
les routes de contournement qui mènent ».
« Tour de babil » ? Sur la terre « pourtant mille fois promise », se dresse le mur
« au fil des raisons
qui séparent des Palestiniens
d’autres Palestiniens ».

 

    Le poème, sonore quand il est lu, musical quand des compositeurs s’en emparent, est aussi visuel, dans la mise en pages de Jean-Pierre Bobillot et accompagné des photographies de Victor Moulinier et Stefan Gepäck. Face à une page où, à l’horizontale, des points s’alignent comme des barbelés « autour, tout autour » d’un drapeau, une autre page, à la verticale, entasse en strophes des mots en M comme Mur, Minorité, Mémoire, en B comme Barbelés, Bannières, Banques, que joindront d’autres mots comme Dos, Bras, Oreilles, Arbres, Honte, Juive Arabe, Arabe, Juive. Il y a des pages ouvertes où des mots en archipels sont espacés, permutés, redistribués, s’attirent ou se repoussent, prennent différents sens selon l’éclairage des mots qui les entourent. Il y a des pages fermées où les piles de mots sont serrées, gardées, incarcérées par des rectangles.

 

     Les mots ne sont pas que des mots. En un ready-made aidé, deux textes superposés s’entrecoupent, alternent ligne après ligne. « La déclaration Balfour du 2 novembre ouvrit une nouvelle page… » et « Cher Lord Rothschild 1917 j’ai l’honneur de vous adresser au nom du gouvernement de Sa Majesté la déclaration ci-dessous de sympathie à l’adresse des aspirations sionistes… ». La sympathie est soulignée par la poète qui remplace un t par un s : « sous administration internasionale, excepté Haïfa et Saint Jean d’Acre ». Ce « pacte implicite » entre l’impérialisme britannique et le mouvement colonialiste « eut des répercussions géopolitiques au niveau mondial ». Par ces mots, « la Grande Bretagne offrait une terre qu’elle ne possédait pas ».

     

     « Tout le monde est à peu près / infirmières derrière les murs / matons derrière les belles ». Ainsi se terminait le poème « En trois jours, onze personnes », daté du 30 septembre 1988 et recueilli dans De partout (Les Contemporains favoris, 1992) avec un autre poème de la même année qui avait pour titre « C’est la saison d’imaginer ». Le poème de 2015 renoue :

« Tout le monde est à peu près
dans la banlieue de Babel
tout autour
le temps d’imaginer autour ».

 

      Le chant d’alcyon des lendemains qui déchantent « Hante l’Histoire de ce temps long ». Dans un poème dédié à Rimb se croisent, dans un désert « de partout », un désert « jamais vide », « siège des observateurs de l’O.N.U. » et « convoi suivant, baril litigieux ». S’enroulent, se déroulent couches géologiques, formes végétales, floraisons de la matière. Le blocus de Gaza autorise la cannelle, interdit la coriandre et le curry. Vaduz, Gaza : « tourne babil au centre du monde ». Permis de rêver. Pied de la lettre, pied du mur, « pour s’arcbouter ». Saveur des mots. « La colère est permise / la cannelle aussi ».

      Babel heureuse, malheureuse ? Nous sommes tous des minorités visibles. Nous sommes tous issus de la diversité. Nous sommes tous de partout.

 

 

 

 

 

 

 

 

 





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