C'est du propre de Jacques Barbaut par François Huglo

Les Parutions

30 nov.
2020

C'est du propre de Jacques Barbaut par François Huglo

  • Partager sur Facebook
C'est du propre de Jacques Barbaut

 

            Marqueterie ou kaléidoscope de citations, d’images, de dessins, de calligrammes, l’ouvrage impatiemment attendu par ceux qui en avaient lu des extraits en quelques revues, dont celle-ci (Poèmes et fictions), ce « Traité d’onomastique amusante » ne doit rien au Traité de tous les noms de Michel Ohl (Lattès, 1980). Le « recueil séminal, conçu par Philippe Bonnefis et Alain Buisine —vrais professeurs », La Chose capitale. Essais sur les noms de Barbey, Barthes, Bloy, Borel, Huysmans, Maupassant, Paulhan (Université de Lille-III, 1981), supposait que « toute écriture est l’histoire d’un nom ». Est-on plus proche des Amusements naturels de Pierre Albert-Birot (Denoël, 1945) que du Cratyle de Platon (entre le Ve et le IVe siècle avant J.C.) ? Les Petits traités de Pascal Quignard répondent : « Ne plus savoir quel est le millénaire, cela s’appelle aimer et cela s’appelle lire ».

            L’affaire Cratyle n’est pas classée. Il se faisait l’avocat du signifiant, Hermogène celui du signifié. Avant leur rencontre, dirait-on s’ils étaient séparables, le signe est arbitraire. Après, il se prend au jeu, car c’en est un, et car tel est notre bon plaisir. Mais le signifiant a le dernier mot (le premier aussi). Il finit toujours par dévorer le signifié. Karl Philippe Emmanuel Bach écrit que son père « a été trouvé mort sur cette fugue où (son nom) apparaît en contre-sujet ». Michel Tournier commente : « l’homme vient d’être dévoré par son œuvre, et cet ultime sacrifice ne peut être dépassé ». (Le Vent Paraclet). Dévoré ou dévoué, de Bach à Artaud : « Ce ne sont pas seulement ses glossolalies, c’est son écriture tout entière qui se dévoue au service du nom : d’Abélard au Grand-Saint-Antoine, des Tarots au Taraud, de l’Anarchiste couronné aux Tarahumaras ou au barattement barbare de la barbaque, il ne se réfère à rien d’autre qu’à lui et tout son art consiste à signer, à disséminer dans la langue d’innombrables effets d’AR » (Jacob Rogozinski, Guérir la vie. La Passion d’Antonin Artaud). Rimbaud (l’Arthur de Charleville-Harar-Marseille) « sait que son nom est le contraire de rime belle » (Serge Pey) ». Tel un Mr Hyde, Lautréamont a été, selon Artaud, « une manière d’indéfinissable assassin » d’Isidore Ducasse.

            Un nom, c’est tout un programme, ou un «présage / var : "il/elle porte un nom prédestiné" ». Exemples : Cresson à l’agriculture, Delors aux finances, Petipa et Millepied danseurs et chorégraphes. C’est vrai en fiction et fiction en vrai. Devenu Aristide dans La Curée,  Zola vient de trouver le nom d’un personnage : Saccard. « Hein ! il y a de l’argent dans ce nom-là ; on dirait que l’on compte des pièces de cent sous ». À  Alice-Hermogène ou Socrate demandant « Est-ce qu’il faut vraiment qu’un nom veuille dire quelque chose ? », Humpty Dumpty-Cratyle répond : « toi, avec un nom comme le tien, tu pourrais avoir n’importe quelle forme ». Balzac, précurseur de l’onomastique, invoquait la « cognomologie  de Sterne ». Il prononçait « trois mots, MADAME DE LISTOMÈRE », et aussitôt apparaissait une vieille aristocrate « bonne, mais un peu roide ; légèrement nasillarde ». Plus que prononcé, le prénom Lolita est suçoté, mordillé, bonbon fétiche : « le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo-Li-Ta ». (Vladimir Nabokov). Et la « subtile fragrance du e de Marthe » fait dire à Marcel Moreau (Sacre de la femme. Scènes d’adoration) que nous approchons différemment une femme « selon qu’elle s’appelle Anne ou Anna ou encore Annie ». De même, la syllabe « du nom de Parme » est « lourde » de ce que le Narrateur lui a fait absorber « de douceur stendhalienne et du reflet des violettes » (Du côté de chez Swann).

            Arbitraire du signe ? Allons donc ! « Est-ce seulement un hasard s’il y a deux " l " dans le nom de gIacomettI / Ainsi que dans le mot fIlIforme ? », interroge Barbaut, dessin à l’appui. Ondine : « Quand il y a de la rosée, le matin, et qu’on est oppressée, et qu’une buée sort de vous, malgré soi on dit Hans » (Jean Giraudoux). Pound ? « nom propre et monnaie », « onomastique numismatique », « or poétique » (Hélène Aji, « Ezra Pound et les juifs : du cliché antisémite à la poétique de l’usure… et retour.. »). Dans le nom de Nietzsche, Michel Leiris (Frêle Bruit) entend des tisons, des fagots, une torche, des feuilles sèches, le « jet de vapeur lancé par une locomotive au repos ». Dans les Évangiles, « la pierre devient nom propre ». Et « comme dans le texte de Gertrude Stein », Denis Roche voit « Roche parmi les Roche ».

            Noms assumés : Genet, « peut-être la fée de ces fleurs » (Journal du voleur). Ou le prénom de Yourcenar, « d’aucune époque et d’aucune classe. C’est un nom de reine, et c’est aussi un nom de paysanne ». René Crevel ? « C’est un oxymore ». Ou le X de Malcolm, remplaçant le nom du propriétaire d’esclaves imposé à ses ancêtres paternels. Verheggen-verrat se sent « un peu un animal littéraire ». Noms non assumés, portés à contre-emploi : « Nous avons connu un Couard excellent militaire, et des Pourchet d’une exquise propreté » (Lorédan Larchey). Althusser était blessé par l’aigu du « i » de « Louis », dont il refusait le « oui » au désir de sa mère. Le mal nommé Bobovnikoff s’est fait Bove. Bove comme Bovary. Constantin V fut surnommé Copronyme pour avoir, lors de son baptème, souillé les fonts baptismaux. Contraptonymes : Reclus, géographe et Douillet, judoka. Le mauvais nom peut être corrigé : Mondriaan supprime un a pour parisianiser le sien, Falkner s’ajoute un u pour raturer le nom du père. L’anagramme rebaptise en jonglant : Alcofrybas Nasier, Pauvre Lelian, Avida Dollars, Tarzan Artist, Mahmud Paclerc, Bison Ravi, O Nirvana. Julien Gracq associe Julien Sorel et les Gracques. La « prodigalité » de Stendhal « dans le pseudonyme » est « un art de paraître » et « oblige à se demander ce qu’est un nom » (Jean Starobinski).

            Et Barbaut dans tout ça ? Il illustre (au sens propre) son nom, dessiné par ses lettres. Dans l’une de ses bulles —car « il pense dans une bulle »— il dit : « mon nom propre est très commun ». D’Aurevilly « porte d’azur à deux barbeaux ou barbeys (en patois normand) ». Jacques barbote, dans l’argot des typographes ce verbe signifie piller. Mais c’est un orpilleur. Barbeau, Barbille, Barbe, c’est Mac, Mec, Mecton (René-Louis Doyon, Éloge du maquereau). Pour Maurice Roche, Pierre Barbaud est « le type de la musique cybernétique ». Jarry « pêche à l’amiral » le « gros barbeau » et médite sur le Manuel du pêcheur à la ligne de Désiré Barbeau. Dans Barbaut, il y a b.a-ba, baba, rut (comme dans Proust) et dans Marcel Proust il y a Putes, Stupre, cul, Ma poule, L’art et Star. De Gilberte, Albertine, à Bergotte, à la Berma, etc., Alain Buisine (Matronymies) voit « le patronyme lui-même, Proust » se diffuser « dans toute la substance onomastique de la Recherche ». Stig Dagerman se sent au contraire « tellement esclave de son nom » qu’il « ose à peine écrire une ligne, de peur de lui nuire ». Barbaut maléfique ? Parmi les croquemitaines, Nicole Belmont distingue les êtres anthropomorphes, ou zoomorphes, et les « êtres verbaux », dont le babou et le barbo. « Masque à barbe » du diable pour effrayer les enfants ? Homophonie, tout au plus, écho, éclat, dans la géode aux mille facettes, la caverne d’Ali(ce) Ba(r)ba(ut).

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis