Charlemagne Palestine de Jacques Donguy par François Huglo

Les Parutions

08 juil.
2022

Charlemagne Palestine de Jacques Donguy par François Huglo

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Charlemagne Palestine de Jacques Donguy

            Voici un dialogue vivant entre deux encyclopédistes vivants de la performance musicale et/ou poétique, qui souvent ont rencontré les mêmes personnes, chez un éditeur qui avait publié le livre de Jacques Donguy sur Monte Young. La « body music » de Palestine fait intervenir la voix, les carillons, et surtout ce super piano qu’est le Bösendorfer Imperial. Il fut aussi l’un des pionniers de la musique électronique en Californie et à New York. Quant à Jacques Donguy, il a joint à ses ouvrages sur la poésie expérimentale des études sur de nombreux musiciens, dont Jeff Golyscheff, Philip Corner et Pierre Mariétan.

 

            Minimalisme ? Palestine, et Donguy dans sa préface, récusent le terme d’abord imposé par Tom Johnson, critique au Village Voice et musicien, qui lui-même a préféré plus tard parler d’ « hypnotic school », de « flat, static, minimal and hypnotic music », et à propos de Brian Eno de « static sound », que Donguy considère comme « l’appellation la plus juste ». Le son (le chant), le corps et l’espace interagissent. De 1955 à 1961, à partir de sept ans, Palestine chante dans la synagogue de son quartier de Brownsville (Brooklyn). En 1969, il rencontre Pandit Pran Nath par l’intermédiaire de l’assistant de Timothy Leary, Richard Alpert, de retour d’Inde. En 1971, il s’initie au chant javanais avec Ki Wasitodipuro. Au début des années 1960, il est carillonneur de l’Église épiscopale protestante St Thomas à Manhattan, rencontre Moondog et participe à la musique du film Coming Attractions. Chez Tony Conrad, membre du Dream syndicate aux côtés de John Cale et de la Monte Young, il voit défiler « l’entourage d’Andy Warhol au grand complet ». Après rupture avec John Cage, son « père de substitution », et « le monde Wasp qu’il représentait », il « se tourne vers les arts plastiques et va vivre en Europe ». Vingt ans plus tard, sa musique sera redécouverte « à travers les jeunes labels indépendants et un changement de sensibilité, notamment l’esthétique punk ». Peluches animales et rituels accompagnent les concerts de celui qui s’est « toujours pensé comme un Minotaure » et se réclame du chamanisme.

 

            Le père de Charlemagne, originaire de la cosmopolite et bouillonnante Odessa, travaillait pour la mafia juive de Brownsville, « aussi violente que celle des Siciliens ». Pour son argent de poche, le jeune musicien qui, à West Village, avait joué un petit bongo pour des poètes, dont Allen Ginsberg, et un chanteur, Tiny Tim, vend de la marijuana à l’entrée de son école. Le père de sa copine lui trouvera un job moins dangereux : carillonneur. Chez un disquaire, il découvre Stockhausen, Xenakis, Varèse qu’il rencontrera une année avant sa mort. De sa rencontre avec Stravinsky, il retiendra moins sa musique que son Johnny Walker Red. Il se sentira plus proche de Terry Riley, qui a pratiqué le chant ancien irlandais, que de La Monte, « un mormon ». Morton Subotnick lui permet de jouer sur les synthétiseurs créés par Donald Buchla et Robert Moog.

 

            Le danseur et chorégraphe Gus Salomon, élève de Merce Cunningham, lui commande pour un ballet « une sorte de sons comme venant de machines monstrueuses, un peu comme dans Metropolis ».   Cela donnera Holy I et Holy II. Il rencontre Phil Glass à Rome, dans un festival chez le galeriste Fabio Sargentini. Ileana Sonnabend l’invite avec Simone Forti à Paris pour le festival d’automne, et lui présente Maria Gloria Bicocchi, fondatrice d’Art Tapes, « la première compagnie à faire des œuvres d’art en vidéo directement avec les artistes ». À la fin des années 1970, ces années punk, il joue « de plus en plus violemment » et devient l’un des « artistes Bösendorfer » avec La Monte et Cecil Taylor, « le pianiste de jazz très radical ». Pendant deux ans, il participe au CalArts (California Institute of the Arts), payé par Disney alors qu’il avait interdiction de pénétrer dans le parc, lui qui venait de New York, très aile gauche, communiste avec Marcuse, et portait les cheveux longs. Fluxus n’est pas sa tasse de thé, il trouve leur philosophie « trop protestante. Je n’aimais pas. J’étais fou, la vie était folle, basta ». Palestine se définit comme « un juif new yorkais séculier, et ça a marqué des écrivains de New York , ou les peintres abstraits qui étaient juifs, dont Rothko ». Il affirme que le nounours « a été inventé par un couple juif de Brooklyn. Un nounours, c’est un schmaltess animé ». Né Chaïm Moshe Palestine, il est devenu Charles Martin puis Charlemagne Palestine, « et chez les juifs, ça c’est très typique, on a deux noms ».

 

            Mais minimaliste, non, vraiment pas. Phil Glass lui-même refusait le terme, il se rêvait musicien classique, « était très fier d’avoir été l’élève de Nadia Boulanger ». Maximaliste, pour Palestine, signifie « le plus d’options possibles ». Parmi les annexes qui font du livre abondamment illustré un document indispensable (discographie, bibliographie, articles, sites, radio, télévision, conférences, recherches universitaires, index des noms), on lira deux compte rendus de concerts par Tom Johnson, le critique du Village Voice, pour qui Palestine, comme l’Op Art, « traite de la perception créant souvent une illusion de mouvement, même quand aucun mouvement ne se produit ». Face à l’effrayante énergie avec laquelle Palestine martèle son piano pendant presque une heure, il s’interroge : est-ce « du mysticisme, de l’hédonisme, ou alors du simple masochisme » ? Et il répond : « seule la détermination peut amener quiconque à traverser une telle épreuve ». On peut ici parler, dans un sens  nouveau, du tempérament d’un clavier !

 

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