Dernière démonstr’action sous ma gouverne de Julien Blaine par François Huglo

Les Parutions

12 juil.
2020

Dernière démonstr’action sous ma gouverne de Julien Blaine par François Huglo

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Dernière démonstr’action sous ma gouverne de Julien Blaine

            Le grand dépotoir avait été salué comme acte politique-économique-esthétique-poétique (valeur d’usage contre valeur d’échange, Vie-Art contre marché, contre « asphyxiante culture »). Maïeutique et zen : incitation au détachement. Il s’agit aussi d’un acte manouche, ou rrom. On le comprend en lisant un « assortiment de choses fraîches » et « vieillottes toutes inédites » imprimées par les éditions Paraules en une période où diverses manifestations étaient reportées ou annulées, dont les rencontres de l’Ille-sur-Têt, les lectures chez Maupetit (librairie) et les Rroms au MUCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée).

            L’exposition Le grand dépotoir (« tout ce qui me reste dans mes ateliers » doit être emporté ou sera brûlé ) met en pratique un proverbe gitan régulièrement cité par Alexandre Moralès : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu ». Julien Blaine évoque sa mère, « une de Mouriès dans les Alpilles aux frontières de la Camargue », et le « soleil des fêtes de boumians » que rappellera le feu de joie, à la fin de l’expo. Et quelques rites : « Je récupère l’argent de la main droite, celle qui prend. Je paye de la main gauche, celle qui donne ». Un trèfle à quatre feuilles tatoué sur l’épaule droite, un bocal plein de pièces d’un centime d’euro. Du rite (« je me lève du pied droit ») à l’éthique (« je ne suis pas certain que ça va marcher mais j’envisage le succès »), il n’y a qu’un pas. Éthique tzigane, stoïcienne, spinoziste ? « Jamais je ne me plains (…). Je ne juge personne : jamais ». La fable confine à la médecine : « Tous mes cousines et cousins sont parents du hérisson », qui ne mange pas « les aliments contaminés par votre souillure (…). Il est propre et il guérit ».

            Éthique difficilement compatible avec la bonne morale des braves gens : « sur le chemin du voyage tu peux cueillir au bord des routes ce qui t’est nécessaire pour te nourrir et pour t’abreuver à condition de ne pas en faire commerce. Ce n’est pas voler, c’est obéir à la loi de l’hospitalité, c’est respecter les traditions de leurs pays d’origine ». Mais « ce respect leur vaudra une mauvaise réputation avec tous les attributs néfastes au sujet du vagabondage. Les 600 000 morts du génocide Nazi, le Parajmos, sont alors selon ces criminels de guerre justifiés ». Ah, les braves gens !

            Le grand dépotoir rappelle aussi les funérailles : « Tout ce qui lui appartenait disparaît. Un seul objet choisi par celles et ceux de sa famille : un simple souvenir du mort. Tout le reste va brûler. Même sa caravane : Tout ! ». À la Friche de la Belle de Mai, Blaine n’envisage pas de mourir. Il dépose encore, le long de sa route, des Post Scriptum à ses performances. Celles, politiques, de Piotr Pavlenski lui ont bien plu, jusqu’au jour où il s’est transformé « en donneur de leçon », en « moraliste pudibond » qui, « après s’être cloué la peau des couilles », est « devenu cul-cousu ! ». Blaine préfère « le haka des maoris », surtout connu chez nous par « son expression autour du rugby ». Mains frappées sur les cuisses, souffle des poitrines, hanches suivant le rythme fortement marqué par les pieds : « Ka mate ! Ka mate ! (C’est la mort ! C’est la mort ! ) Ka Ora ! Ka Ora ! (C’est la vie ! C’est la vie !) ». Étymologiquement, « haka signifie "faire" ! ». Comme la danse des signes sur les pages qui suivent, entre « transparence des O » et « Zéro ô mon beau 0 Ô ma boule 0 ». Être c’est suivre (dire « je suis » conjugue les deux verbes). À suivre…

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