Epigenetic POETRY de Giovanni Fontana par François Huglo

Les Parutions

20 oct.
2020

Epigenetic POETRY de Giovanni Fontana par François Huglo

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Epi'genetic POETRY de Giovanni Fontana

 

            Fontaine, mais à quoi ? À images, à actions, à sons, à textes. Et autour du manifeste poétique de cet homme-orchestre, « La poésie épigénétique : Urtext en expansion », un « essai choral » fait du catalogue de l’exposition organisée en collaboration entre la Fondazione Bonotto, le CipM et Alphabetville « un texte indépendant et libre », architecture aux colonnes bleues pour le texte français, noires pour l’italien, rouges pour l’anglais, multicolores pour les photos de « partitions », de collages, et du poète en action. Michaël Batalla, directeur du CipM depuis janvier 2019, ouvre le jeu. « Giovanni Fontana agit poétiquement sur la poésie ». Dans sa « théorie "polyartistique" de la poésie », réside « une théorie de la voix conçue comme "fonction d’unification" ». Il s’agit de trouver la « bonne tension » entre « la liberté et le lien », entre voix « libre » de tout texte et voix « liée » par un texte.

            Colette Tron, directrice artistique d’Alphabetville, laboratoire des écritures multimedia, voit naître des « organicités poiétiques » dans les « nouveaux espaces d’action » libérés, selon Fontana, par « le progrès technologique et la révolution des médias ». La textualité devient « pré-texte », le texte est à considérer « au même niveau que les autres éléments en interaction ». Le poietes, écrit encore Fontana, « agit sur les nombreux fronts de la créativité, avec tout matériel, en tout lieu et en toute situation, sur tout support et sur n’importe quelle voie, en utilisant n’importe quelle technologie ».

            De ce « tout, tout, tout » à la Poésie totale, il n’y a qu’un pas que franchit Julien Blaine : « Il était une fois Adriano Spatola et sa Poésia totale, once upon a time une maison entre Parme et Reggio-Emilia : il mulino du Bazzano ! Là : les éditions Tam-Tam, la revue papier Geiger et la revue sonore sur K7 Baobab ». Fontana est « dans Tam-Tam dès janvier 1977. Et dans Baobab, le 1, en 1978, intitulé : information phonétique sous la responsabilité d’Adriano Spatola ». Julien Blaine le retrouve « à travers les revues et festivals tout autour du monde ». Fontana « recensa et publia une anthologie de poésie sonore vocale-visuelle de 1964 à 2004 pour le magazine Il Verri. Il fut le fondateur et l’éditeur de La Taverna di Auerbach, de 1987 à 1990 un magazine international de poésie intermedia, et du magazine de poésie sonore Momo (voix, sons, et bruits de la poésie ». Blaine propose cette équation : « Epigenetic poetry = dispositifs électroniques + projection de vidéo + diffusion d’audio / multi dimension des œuvres visuelles & textuelles = partitions ».

            Le manifeste de Fontana part du concept de corps identifié par Merleau-Ponty à « un lieu de corrélation entre l’intellect et le monde ». Il est « comparable à l’œuvre d’art. C’est un lieu de significations vivantes », où « l’on ne peut distinguer l’expression de l’exprimé ». La parole de l’orateur « est sa pensée ». Fontana emprunte aux catégories esthétiques de Pareyson le concept de formativité : « un faire qui, tout en faisant, invente la manière de faire ». La poésie étant « avant tout un fait sonore (rythmique et phonique) », le texte « ne peut être qu’une partition », que la voix peut soutenir ou quitter. « La poésie est une structure complexe qui doit pouvoir choisir tous les éléments qui, d’une manière ou d’une autre, doivent ou peuvent entrer "en situation" ». Dans la performance « tout est permis », et « chaque lecture constitue une réécriture ». Plus généralement, « l’interprète est toujours poète, comme le poète est toujours interprète ». La structure du texte poétique sera « polyphonique, intermédiale et interlinguistique », à travers « des événements dynamiques, interactifs et hautement imprévisibles ». Le polyartiste passe « d’une onomatopée marinettienne (à bien des égards, naïve) à une hypervox numérisée ».

            Barbara Meazzi, auteur d’une monographie sur la réception du futurisme en France et cofondatrice de l’Observatoire des Révolutions Artistiques, compare l’Imaginaire de Giovanni Fontana à une fontaine du baroque tardif. Cet « archi-poète » est « architecte et poète », son œuvre un « escalier à eau ». À la fois scénario pour le théâtre et partition musicale, Radio-dramma (1970) se termine « avant même qu’un acteur-personnage puisse entrer ». Marie-Louise Lentengre parle d’ « inaptitude du drame radiophonique à bâtir une intrigue ». Fontana déclenche le jeu hydraulique d’ « une écriture qui ne produit pas de textes. Mais des voûtes et des archivoltes poussées au-delà des confins ». L’archi-texte écrit « se fait chair, sons, musiques, paroles, échos, bruits et rumeurs, gémissements et cris ». Chant de sirène, sa poésie sera qualifiée par Jean-Pierre Bobillot d’ « extravagante », comme « celle de tous ceux qui explorent et exploitent sans crainte ni réticence les infinies potentialités poétiques du medium ». La métrique est précise, des flèches et parenthèses « indiquent la direction des mots, des sons et des images ». Le cogito de Fontana, simultanément poète et théoricien, s’appuie sur le son : « Sento [dunque suono ». Il ne s’agit pas pour lui « de fournir aux lecteurs et aux lectrices le mode d’emploi de sa démarche créative mais de la prolonger ».

            Patrizio Peterlini, directeur de la Fondazione Bonotto, rappelle que l’épigénétique est « un concept scientifique qui nomme et étudie les changements phénotypiques de l’ADN dans lesquels une variation de génotype n’est pas observée ». Fontana se concentre non sur le texte poétique « figé en lui-même », mais sur les variations de sa mise en œuvre, en un « jeu aléatoire et kaléidoscopique » entre voix et « distorsion, réverbération, écho », produits par les instruments électroniques, non sans analogie avec l’improvisation musicale. Les vidéos en direct participent à l’action scénique. Le polyartiste incarne « ce chemin "Vers la poésie totale" identifié par Adriano Spatola à la fin des années 1960 ».

            Marianne Simon-Oikawa (université de Tokyo) s’attache à « lire les "partitions" de Giovanni Fontana » sans oublier que le texte est toujours in situ. Pierre Garnier présentait Fontana comme étant « d’abord un poète sonore », mais « (ses) 23 "partitions" offrent la parfaite démonstration des capacités du visible à faire entendre le son, le souffle et le mouvement (…). Le sonore et le gestuel passent tout entiers par le visuel ». Et « Jean-Pierre Bobillot a bien montré, et depuis longtemps, l’inanité qu’il y aurait à vouloir opposer poésie visuelle et poésie sonore », l’une et l’autre proposant une « redéfinition de la notion de texte », d’où, selon Marianne Simon-Oikawa, une « redéfinition de la lecture ».

            Gilles Suzanne parle des « voix métamorphiques de Giovanni Fontana », la voix étant dans ses poèmes « vitale et énergétique », et la « puissance autopoiétique » dégageant un « ultracorps » (ou « corps sans organes centralisés ») fait de, Fontana dixit, « contaminations, déraillements, court-circuits intermédiaires, déflagrations de signaux, rébus composites ».

            Fontana a écrit pour de nombreux musiciens, dont Ennio Morricone, en particulier Elegia per l’Italia, composée pour le 150ème anniversaire de l’unification de l’Italie et présentée pour la première fois à Rome, le 1er mai 2011. Spatola considérait Fontana comme « un maître », mais ajoutait : « diabolique ». Et l’ensemble des contributions permet de suivre ce que Pierre Garnier appelait sa « conquête de la liberté ».

 

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