FOURIRE de Marie Delvigne et Raymond Federman par François Huglo

Les Parutions

27 oct.
2021

FOURIRE de Marie Delvigne et Raymond Federman par François Huglo

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FOURIRE de Marie Delvigne et Raymond Federman

Après Federman hors-limites : rencontres avec Marie Delvigne (Argol éditions, 2008), le duo sort des limites de l’entretien pour composer un montage commun, illustré par quelques photos : plus qu’une somme, un produit. Plus qu’un marivaudage, une maïeutique. La synergie du parce que c’est toi – parce que c’est moi. Une « surfiction » où s’invente et s’exerce une érotique de la ponctuation.

            Le rire est un accord : je te fais rire ou non, tu me fais rire ou non. Entre l’auteur et poète franco-américain disparu en 2009, spécialiste et ami de Beckett, et la romancière poète française, spécialiste et amie de Federman, l’accord comprend plus de deux notes, chacun apportant son théâtre intime pour en faire tout un plat, en orchestrer les saveurs, généreusement et pour la fine bouche. Goûte qui pourra. « Tu comprends ? ». Car « rire, c’est une philosophie », dit Marie alias Madou. Avec « câlins de mots » et « tartines de confiture » au goûter. Un banquet de répliques. Madou : « si tu étais un arbre ? ». Didou : « ce que j’étais et ce que je serais ». Madou : « si tu étais un autre ? ». Didou : « l’autre en moi fait mon langage qui me permet d’être en l’autre ».

            Car « Je est un outil ». Pourquoi Rimbaud n’approuverait-il pas Feyderman ? Ne l’a-t-il pas précédé dans la « démultiplication des voix » (« Quelqu’une (…) / Toujours angélique / (…) ») ? Marie : « l’autobiographique n’est qu’une jolie illusion (…) ne croyez surtout pas que ce "je" est tout à fait moi, puisqu’il est "fictionnel" comme tu pourrais le dire ! ». Feyderman : « Moinous est récurrent dans mon œuvre (…) c’est Moi et nous mais qui est le Moi —qui est le nous ? C’est "ominous" ». Elle : « il s’agirait d’une mise en abyme horizontale de l’énonciation (…) tu es partout sans être vraiment nulle part ». Lui : « Formidable ! ».

            On n’est pas sérieux quand on a l’âge d’écrire ensemble. On veut « faire quelque chose pour la ponctuation » (Didou). Le point ? « Trop obstructif. Il empêche de dire plus dans la même phrase (…). Ce petit signe qui invite la majuscule est prétentieux ». —« Définitif », suggère Madou. « Mortel », répond Didou. Les deux points ? À « remplacer par = le = ça s’horizontalise ça sent la stabilité et puis la position horizontale moi j’aime bien… » (Didou). Les points de suspension ? « 3 c’est mesquin, j’en veux au moins quatre », pour cette « sorte de halètement logique » (Madou). La virgule ? « mimi » mais « son nom me fait penser à pustule il faudrait l’appeler autrement » (Madou). Didou propose : « coccinelle ». Pourquoi des guillemets alors qu’ « un écrivain il donne ses mots il nous les offre » ? (Didou). Madou : à « remplacer par l’italique ». Avec « suppléments » (genre fromages ET desserts), la ponctuation est encore meilleure. Madou et Didou en ouvrent la boîte à outils. Déballage émerveillé, du tiret qui, pour Didou, « = respiration », aux  :=), :)), :(, [, [[ ]],>, <, /, //, et autres sortes de « frémissement de ponctuation ». Le « fuck »  aussi peut ponctuer, et la « déclinaison » de Didou sur ce « mot magique » : verbe transitif ou intransitif, adverbe, nom, adjectif, conjonction, interjection, du maire d’Hiroshima au capitaine du Titanic, d’Anne Boleyn à Albert Einstein, est, même en anglais, digne de certaine « tirade des nez ».

            Ce n’est pas pour rien que le rire est dit « fou ». Beckett : « Nous naissons tous fous, certains le demeurent ». Madou se fait « psycho-technicienne spécialiste de la folie douce ». Pourquoi le crocodile ne se mettrait-il pas au piano ? « Ils ont tous les deux les dents blanches ».

            « Craduction » ? « God Ass : Amen Amen Alleluia, amène tes fesses ». Car comme le dit Didi à Mimi, si Courbet « nous a peint l’origine du monde », tu peux visualiser celle de l’univers : « un gros cul céleste dans le vide en train de se dégager » (LOL : Laugh Of Love ou Love Of Laugh, « au lecteur de choisir », dit Madou).

            Surfiction, c’est (dixit Simone, 12 ans, fille de Raymond) « comme si les écrivains de fiction faisaient du surfing sur les mots ». Son papa ajoute : une blague pleine d’affection pour le lecteur ». L’idéal (mieux qu’idea, qui est mieux que règle, mot à bannir) : « se mettre ensemble à l’écart », même et surtout si « c’est gentiment contradictoire ».

            Vive la « laughtrature » !

 

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