Golden Hello d'Éric Arlix par Bertrand Verdier

Les Parutions

28 oct.
2017

Golden Hello d'Éric Arlix par Bertrand Verdier

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« Percer à jour le transparent »

 

 

 

« Détruire d'une balle de fusil ou d'un éclat de bombe un cheptel humain tend à s'avérer beaucoup moins productif que de le détourner insidieusement »
Denis Roche : « Une histoire de la publicité » ; La Quinzaine littéraire, 1er septembre 1967

« Nous n'avons rien à voir avec la littérature ; mais nous sommes très capables, au besoin, de nous en servir, comme tout le monde. »
(Bureau de recherches surréalistes : Déclaration du 27 janvier 1925)

Golden Hello est présenté par l'auteur comme « un ensemble de 14 textes indépendants formant un roman dont le personnage principal est l’époque ». Le premier texte narre « un enlèvement » : celui d'un « manager » par un « ouvrier qualifié », qui, projetant la « déradicalisation » de ce « mentaliste de la vente mondialisée » (p. 13), veut ainsi « ouvrir une brèche dans l'univers » (p. 11). La phrase conclusive ne laisse guère de doute quant à l'issue de la cavalcade motorisée : « s'écraser contre un conifère d'une forêt millénaire » (p. 18).

Les causes matérielles de l'accident mortel sont explicites : le manager entravé « se jette à l'avant du véhicule, […] paniqué, en survie, tentant des coups de tête sur son agresseur » (p. 18). Au-delà, les hypothèses qu'il s'est in petto formulées n'ont convoqué que des stéréotypes de fictions, de scenarii (nombreuses occurrences du terme) ; cela l'a amené à estimer que c'est « à tout prix désormais » (p. 18) qu'« il veut faire cesser » (ibid.) son cauchemar, et à exécuter cet « ultime plan de sauvetage » (ibid.). Et ils meurent parce que ni l'un ni l'autre ne parvient à penser en dehors des mots et des images du spectacle capitaliste planétarisé « cette situation sans précédent » (p. 17). L'ouvrier apprécie sa voiture à l'aune de slogans publicitaires, se targue de « veiller à la cohérence d'ensemble dans toutes les actions qu'il entreprend, asseoir sa légitimité et sa maturité » (p. 16), se félicite « d'avoir eu le courage de franchir le cap, de se réaliser pleinement » (p. 13) ; quant au manager, « le meilleur d'entre nous » (p. 11) envisage « le scénario du stage déjanté imaginé par un Californien en bermuda fleuri » (p. 12). De même, le livre se clôt, face à une autre situation inédite, sur « Julien […], une cigarette et il pourrait mourir juste après, […] il pense à Al Pacino dans Scarface » (p. 123).

Les personnages sont ainsi réduits à ces caricatures dont les « décideurs » (p. 119) ont besoin pour perpétuer leur caste au sein de « la démocratie [représentative], ce décor contemporain de l'économie » (p. 108), où quelques « holdings » dégorgent à flux tendu « les nombreux récits que les générations futures se transmettront » (p. 57) : « C'est une vidéo où des marques influencent des parents qui influencent leurs enfants pour faire des vidéos qui influencent des enfants qui influencent leurs parents pour acheter des confiseries » (p. 19). Chaque texte déploie son lot de mises en tropes : hyperboles, anaphores, épitrochasmes, anglicismes, psittacismes, … par lesquelles la logorrhée croissanciste contamine, imprègne, arrête les pensées, langages et décisions de chacun.e. À cet égard, le texte « Un plat » pointe l'emphatisme prédateur d'un discours qui évacue à dessein toute référence historique du vocabulaire et y substitue une vacance sémantique généralisée : « C'est un plat, c'est une révolution » (p. 83) vise, davantage qu'à vanter « Le Plat », à diluer, dissoudre l'idée de révolution.

Explorés cette rhétorique et ses effets concertés (dont donc la mort), « l'expérience littéraire et poétique » (p. 34) d'« Un quartier » (p. 27-34) pourrait passer pour une solution collective : les habitants en effet de cet îlot urbain, cet isolat, vivent volontairement « soumis aux impératifs de l'écriture et aux commentaires permanents qu'ils doivent produire, leur esprit totalement inféodé à l'intérêt littéraire et poétique général » (p. 27). Leurs productions et modes de vie constitueraient une possible échappatoire à l'époque. Las !, ce phalanstère ne doit sa survivance qu'à son isolationnisme forcené : « le gouvernement est bienveillant avec nous puisque quel que soit le contenu de nos textes ils ne sortent pas du quartier. […] Pas de contamination possible. » (p. 32-33).

Le pénultième texte, « Un projet », pessimise le constat : « penser autrement » (p. 107), « cherche[r], encore et encore, les nouveaux mots clés capables d'exciter des individus » (p. 109), « pense[r] un nouveau concept où 100% des êtres humains sont obligés d'exercer des responsabilités collectives » (p. 108), débouche sur un « adieu au langage » (p. 41, référence, non soulignée, à Jean-Luc Godard). Dresser ainsi « des listes de mots qui ne nous étaient plus d'aucune utilité » (p. 113) contraint logiquement au silence : « …..................................

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......................................» (extrait aléatoire des p. 113-116). Ce que commente cette quasi conclusion de Golden Hello : « on ne peut plus rien dire, complices, collabos, ou simplement aveugles » (p. 119). Sinon qu'il fallait que ceci fût dit là, et ici commenté.

 

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