Homme parfait d’Isabelle Pinçon par François Huglo

Les Parutions

01 nov.
2022

Homme parfait d’Isabelle Pinçon par François Huglo

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Homme parfait d’Isabelle Pinçon

 

 

            Stimulante contradiction : Homme parfait est « fantasmé par Isabelle Pinçon », lit-on en 4ème de couverture, alors que Spinoza cité en exergue affirme « Par réalité et perfection, j’entends la même chose ». Le sous-titre, « 53 proses pour une guérison rapide », nous guide entre les deux. L’homme imparfait serait une (triste) maladie, et l’homme parfait une (joyeuse) réalité entrevue par le fantasme, surgie, précise le prologue, « dans l’encadrement, un sauvetage impromptu cueilli comme une fleur ». Celle-ci pousserait sur le fumier patriarcal des stéréotypes de genre : sur la décomposition de « l’homme de tous les jours » qui « m’énerve pour un oui et un non, pour une broutille et un ouragan ». Cet « homme doté d’un article défini existe beaucoup et partout. À peu près dans la totalité du monde entier de l’humanité. Je l’ai allongé sur un lit de feuilles mortes, les fourmis auront de quoi se régaler ». Homme parfait « est imputrescible, un mélange de terre de bruyère et de pierre volcanique ». C’est le « pinceau » d’une femme, sa « poudre d’or », qui le parfait. Il « arrive sur terre par mon cerveau reptilien » et « n’a pas de lieu sinon le mien ». Aragon a tort : l’homme est l’avenir de la femme. « Homme parfait a plongé ses doigts dans le bac d’eau bouillante à la recherche d’un cocon dans lequel mon futur viendra ». Parfois son présent : « Homme parfait écoute les oiseaux autant que moi ». Comme un frère : « Qu’y a-t-il en lui de si fraternel à prendre mes phrases dans son giron ? ». Pas genre mâle dominant, « Homme parfait ne confond pas ma chair avec de la pâte à modeler ». Il ne cherche pas « à accélérer son flux de testostérones ». À hauteur de femme, il « me tient par la main ». Gender fluid : « Au-delà du masculin et du féminin ». Il faut distinguer le genre, construction sociale et composition individuelle, du sexe biologique fixé à la naissance, ici sans ambigüité (Homme parfait tient « son adjectif calé comme le colt des cow-boys dans le Grand Ouest ») et de l’orientation sexuelle, pas moins nette (« La vérité sur son sexe est un secret de polichinelle ». Autrement dit, « les trois jambes de ses deux m et le cou de son f le  hissent à la hauteur de la définition que j’en fais ». Il « s’ajuste au moindre détail de mon anatomie » —il « a des mains parfaites— et « jaillit autant de fois que je l’écris »). Il n’est « pas Jésus », pas « mon père qui avait le défaut de ne pas être parfait ». Un animal ? Oui : de compagnie. Il « perdrait ses poils si je ne veillais pas à la bonne conservation de son état ». Qu’il persévère dans son être, dirait Baruch ! Doté d’un article indéfini, mais générique : né (d’une femme) libre et égal (à une femme) en droit. Car il n’est de droits que de l’homme parfait. Universel ? Particulier ? Les deux. « Je parle de lui dans n’importe quelle langue, sous n’importe quelle latitude. Aujourd’hui c’est en arabe ». Un intime inaccessible, « le point le plus éloigné à l’intérieur de moi, l’être qui est là, l’être-là qui pulse, le point battant ». Un ciel qu’il « sillonne avec doigté ». À saute-mouton sur des proses agrestes, comestibles, fleuries par les couleurs que pose Michèle Riesenmey, nous cherchons dans le jardin des œufs non de Pâques mais « une sphère dans laquelle le jaune et le blanc se mêlent sans casser la coquille ».

 

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