Julien Blaine 2013 par François Huglo

Les Parutions

08 oct.
2014

Julien Blaine 2013 par François Huglo

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      Le Blaine comme volonté fuit le Blaine comme représentation. Le Ju(lien) f(r)uit de toutes parts. Le premier recueil des années impaires (BB, « Biennale-Bouquin ») est une cueillette et le r’assemblement (DVD) qui l’accompagne un assemblage (au sens œnologique). Cours, Julien Blaine, la vieille perf est derrière toi, « redite et refaite » à partir de 1985, devenue « un art de citations » dont les intervenants ne savent pas qu’ils citent. Mais avant d’être répété par d’autres, le Blaine comme volonté, comme « ecfruiture », ne supportait plus le Blaine comme représentation, comme écriture automatique : « Pour les performances, à partir —tout au plus— de la dixième reprise j’étais déjà dans la représentation mécaniste, machinale, une interprétation qui lie automatiquement la cause (le texte) à l’effet (la lecture) : hors-vie, hors-corps, hors-chair, au-to-ma-tik-tik !!! ». On pense au « tics, tics, et tics » de Ducasse, qui suivait : « La poésie doit être faite par tous. Non par un ». Revoici Blaine refusant de s’installer dans l’interprétation automatique, lui préférant la métaphore, « figure de style indispensable pour l’auteur qui veut laisser au lecteur, au spectateur une certaine liberté d’interprétation, une mise à égalité entre le poète (ou l’artiste) et le liseur (ou l’auditeur ou le regardeur) dans la lecture du texte ou la vision de la performance ». Un autre nom de l’égalité pourrait être l’anonymat —l’ânonymat de l’âne-artiste, du cham’âne qui résiste à l’impérialisme inhérent à « la formation, l’éducation, la façon de l’homme blanc » et à sa « culture monothéiste et hégémonique ». Le « populaire » est le pire nom de ce « génie anonyme », semeur d’iHALi (« installation Humaine Anonyme Laissée là par inadvertance », parfois « par Advertance »).

            Bye bye la perf, si elle se bor(g)ne à « rénover l’art de la danse et du théâtre », à « réinventer le théâtre de boulevard et le spectacle de music-hall », si les « machines à produire et reproduire » sont devenues « inaudibles, silencieuses, muettes ». Encore, quand elles étaient « bruyantes, sonores, crieuses », Blaine pouvait leur parler, comme Novarina aux animaux ! Mais ce Blaine comme volonté contre la répétition, la représentation, la répression, mortifères et aliénantes, dont il se déloque (sous les photos de la « librairie de Belleville » devenue « love J accessoires », cette légende : « vendre des livres ou des fringues, c’est toujours loquer ! »), ce locuteur d’un texte « à poil & au poil » qui se moque, en la photographiant, de la pancarte invitant à conformer ses « vesti » à la « dignità » et au « rispetto »  du « luogo sacro », qui est-il, que fait-il, comment fonctionne-t-il ? Comme un arbre fruitier, comme l’olivier donne des olives. Marie l’a dit : « il ne peut pas faire autrement ». Rien à faire : si la poésie était une volaille plumée, il s’en ganterait ou la chausserait pour l’animer (ânimiste, oui !), comme il ressuscite le mot « désuet » en le suçotant, en le dégustant, ou comme il grimpe sur les stèles et les socles abandonnés pour les « occuper ». Non, le Blaine n’est pas une marque, comme les partis politiques et les églises. Il photographie les affiches publicitaires qu’il a maculées de « gros spermatozoïdes », et il ne représente rien. Ce qu’il veut ? Moins faire école (ça, c’est fait) que se (nous) mettre à l’école.

            Cette école de l’égalité ne répète pas le discours d’un maître. Pas plus que Jean Roussel, homonyme de Raymond, Blaine n’imite l’écrivain dont il est le sosie. À la différence de la bicyclette de Marcel Duchamp, la sienne est en flammes ou dans les flammes, comme pour rappeler ce que le cycle du carbone doit à celui du soleil. Ce livre et ce DVD sont des recyclages, mais ces recyclages sont encore des performances. Si la représentation selon Schopenhauer était la mesure subjective et égoïste de la volonté individuelle, une performance de Julien Blaine, pieds cloués sur des planches, confond en « un seul geste », sous le titre « s’effacer », les verbes « colorier, chanter, écrire, effacers’ ». Le ready made, l’art brut, l’arte povera, le landscape art,  la poésie concrète, la poésie élémentaire, l’art ceci, la poésie cela, n’enseignent pas des gestes à répéter, des postures, des positions. Leur devise pourrait être celle du poulpe, légende sous sa photo: « à l’encre toujours, à l’ancre jamais ». Blaine enseigne-t-il l’art de la chute sur les peaux de bananes qu’il a lui-même semées ? Bien davantage : il nous (re)plonge dans « le résidu ». Le sien ? Le nôtre : un reste de nature et de cultures, nos restes. « M’y réduire, m’y résoudre, y résider ; désormais Y résider ». Résignation ? Non : « mis à nu / comme au premier jour ». Autour des photos psychédéliques d’Octave Garnier, Sacco et Vanzetti, Lumumba, Che Guevara, Tananka Yokanta, Vincent Ogé, et à portée des matraques accumulées « pour se défendre » par les militants F.N. à l’arrière de leur voiture, ce qui reste, c’est « l’idée, un esprit, un regret, un remords, une pensée, une notion, un fantôme, et le désir de réentendre, de refaire, de recommencer la partie…».

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