LE MOTiER de Julien Blaine par François Huglo

Les Parutions

19 janv.
2023

LE MOTiER de Julien Blaine par François Huglo

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LE MOTiER de Julien Blaine

 

            Motier et feuilles cousues, deux feuilles de lierre, assemblées en couverture pour former une bouche : une verte, une grise. Verte, celle qui vit de grimper : « je meurs ou je m’attache » (je meurs si je ne m’attache pas). Grise, celle qui en meurt : « je meurs où je m’attache ». C’est la même, à un accent près. De même, Julien Blaine est photographié couronné d’une « branchette de lierre ». Lire, c’est lierre, livres doublant les murs. Lierre, c’est « lire le chant du ciel : pluies, averses, orages, tornades… ». Blaine « compose des livres comme le botaniste fabrique des herbiers ». Motier : herbier de mots. « Aucune métaphore », mais une « identité commune ». Typographies, fleur séchée, oiseau écrasé : « bêtes mortes », aplaties par la presse, « instrument de torture ». Bimot était « une ébauche de Motier ». Les Fables aussi, sans image (elle est « créée par le regardeur ») ou sans texte (poésie visuelle ou visive). Dans une troisième série, images et absences sont remplacées par des empreintes typographiques (poésie concrète ou élémentaire).

 

            Le travail sur le mot vif (« hé mot ragie / & mot réagit / et le mot a réagi ») fait face à sa mort (la rature du mot mot en noir sur fond rouge), comme la feuille verte en couverture fait face à la la feuille grise. Ce travail peut être de dissection : étêté le T, supprimée l’horizontale, MOT devient Moi, mais vertical : « le pendu » (au langage ? aux images ? aux signes ? à la vie ? à la mort ?). Travail, aussi, de « charognard » : au lecteur d’imaginer « la vie antérieure » de « chaque bête » avant « sa photographie, son relevé, son empreinte, sa typographie, son écriture », qui permettent de « remettre debout ce qui était tombé / (…) / Rendre digne ce qui était méprisé » ou « faire valoir ce qui n’était pas remarqué ». Autres sens de relever : « Donner du goût à ce qui était fade » (des bimots font parler des épices) et « guérir ce qui était malade ». L’opération poétique est donc ici de cuisine et de médecine. Du mort comme du vif là encore : « Comme Lemuel Gulliver à Brobdingnag, au pays des géants, j’irai, pour améliorer encore mes motiers, étudier chez eux, là-bas, avec leurs anatomistes et leurs physiologistes, ces espèces de médecins légistes, comment à l’image de nos herbiers, de nos oiseliers, de nos animaliers, ils fabriquent des humanitiers : Des hommes, des femmes, des enfants écrasés entre les pages d’un livre ». Le travail des romanciers, des fabulistes, qui observent les sociétés pour épingler des « types humains », n’est-il pas celui d’entomologistes ?

 

            Le motier taille dans le mot qui, coupé comme un lombric, devient bimot : « L’ / UNE », « L’ / èVE », « L’ / OBE », « L’ / iRE », « L’ / ARME », « L’ / âME », « L’ / OUTRE », « L’ / ARME », « L’ / âME ». Et si Averty s’est rendu célèbre en passant des bébés (pas des vrais !) à la moulinette, Blaine, plus à la César, dépose dans son humanitier sétois l’image froissée, défroissée, comprimée, d’un poupon.

 

            Une postface récapitule : « ces 60 pages » parmi « environ 100 000 » reprennent « 1 proverbe, 2 Bimots, 4 fables, 1 aveu, / 4 à 6 lettres de mon abécédaire, / une leçon de grammaire, / quelques références botaniques, biologiques, / un hommage à l’artiste-savant du millénaire précédent » (Léonard de Vinci, dont est reproduit « L’écrasé organes et vaisseaux ou Arbre de veines). Au Bye bye la perf (2005) a succédé la Déclar’action, au « Grand dépotoir » (2020) les M’exposés. L’une des quatre « lettres vulvaires », le æ, fait pencher la balance (que peuvent figurer les pages en vis-à-vis ou les deux termes de part et d’autre de la barre du bimot) du côté du vif (de la « Poésie en chair et en os », de « Poëme à cor et à cri », de la feuille verte, de l’animal mouvant comme les émouvantes oreilles de l’âne) : les mots penser et panser se fondent dans le « Pænser, enfin ! ». Ce livre synthèse de travaux analytiques s’achève (mais une lecture est-elle achevable ?), sur deux pages, par une ligne pointillée qui figure tout un parcours, ici « consigné » et « confirmé ». Le lierre persiste et signe.

 

 

 

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