Lecture de 5 faits d'actualité par un septuagénaire bien sonné de Julien Blaine par François Huglo

Les Parutions

15 juin
2016

Lecture de 5 faits d'actualité par un septuagénaire bien sonné de Julien Blaine par François Huglo

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       On dit vision du monde, on devrait dire lecture de faits. Ce qui distingue la lecture poétique de la scientifique, de la journalistique, et d’autres, est question de langage, de forme, de format (de formatage de l’ « actualité »). De medium et d’idéologie, aussi. Et pourtant, c’est le même monde, ce même fait qu’est le monde. Julien Blaine, dont chaque acte poétique est un défi, s’est lancé celui de lire cinq faits trouvés, saisis par son écriture pictographique, hiéroglyphique, alphabétique, informatique, et retournés, commentés, dénoncés, jetés comme des projectiles —ce projectile qu’est un livre. La première lecture, « Les Vénérables & Charlie », prend forme d’échange par courriel précédé d’un récit de trouvailles. La deuxième, « Rosetta », prend forme de récit, journal de voyage d’une araignée-robot sur une comète. La troisième, « Hillary, Huma & Victoria », prend forme d’une ode sous forme de discours. La quatrième, « La bouche rhodanienne : 1336 », prend forme de rature, de ready written, de bimots et de digression. La cinquième, « La giungla », prend forme de conte (il était une fois à Calais) dont les héroïnes sont des princesses (d’Angleterre). Suivent « 1 petit post-scriptum destiné à un jeune bibliothécaire » sous forme de message à Julien Coupat passant par le souvenir de René Bianco et par une « petite saynette côté jardin à Air-France en octobre 2015 » (photo), et « 1 addendum » sous forme de flash-back amenant ce constat : « nous n’avons jamais eu un gouvernement aussi à droite ».

       Rencontrés parmi des coquillages et après une vieille corne de bélier près de la plage, deux personnages façonnés (conçus et enfantés ?) par « la mer, les poussières et le vent » montrent « l’image de la maternité / ou l’image de la parturiente, / les plus belles icônes de l’humanité ». Par cette image, les « barbares / au dieu unique, cruel et assassin », ont « réussi à nous posséder », alors que les monothéismes qui dominent le monde sont patriarcaux et s’appuient sur des livres « motivés et justifiés par la vengeance et la punition, / la haine, la jalousie et la mort ». À « Eh ! Charlie Mon cher Pierre » Le Pillouër qui, en janvier 2015, appelle à l’union, quelle que soit la croyance ou mécroyance, contre les fanatiques meurtriers, et à la protection de « nos amis musulmans » contre les amalgames, Julien Blaine répond : « J’amalgame tous les monothéistes (…) qui se réfèrent à des livres superbes mais d’une cruauté et d’une violence inouïes ». Monothéismophobie ? Blaine ne « stigmatise » personne. Il ne croit pas, n’oppose pas sa croyance à une autre. Il compare des livres, qui « ne sont pas des livres sacrés » mais « de beaux récits littéraires », à des gravures et peintures « de l’aurignacien à l’azilien ». Il lit des faits (livres et gravures sont des faits).

       Ce n’est pas de « la Genèse selon les monothéistes » que Julien Blaine attend « (son) histoire, notre vraie histoire : la genèse du système solaire. / Notre naissance il y a 4,6 milliards d’années » : les secrets de la maternité. Comme en écho à Démocrite, il écrit : « Des années que je travaille sur les briques… Entre celles du cosmos et les miennes je me perds, je m’abîme ». Il cite le « chant cosmique » d’Antonin Artaud : « Je suis seul à pouvoir parler de l’être parce que je suis le seul à savoir par antécédente expérience que l’être n’existe pas. Oui, oui, moi, Antonin Artaud, 50 piges (…) je suis ce vieil Artaud, nom étymologique du néant, et qui bientôt aussi abandonnera cette étymologie avec tous les acides (…) qu’elle contient ». Cet être (qui n’existe pas) n’est-il pas le faux nez du Dieu des monothéismes ? Il n’y a pas d’être, encore moins de demeure de l’être, ou de présence, il y a ce néant dont la vie est le nom, l’étymologie provisoire. Le passage de la comète, « balafre dans le ciel », en 1531, 1607, 1682, (…), 1910, 1986, est vu comme un « appel sur le vide sidéral », une « demande irrésistible », une « aspiration ». Un dialogue, entrecoupé de silences, s’instaure entre Julien Blaine et « Philae fruit d’une petite rose : / Rosetta », qui « laboure la comète 67P/ Churyumov-Gerasimenko / connu sous son diminutif : Tchouri ». La typographie du mot « COïT » dit tout : « Le C de la Comète / parle à la Terre par ce / "forage" du ï dans / l’O./ ï : le i et ses deux couilles ! ». Philae ramènera-t-il un peu de poussière de Tchouri, de semence de vie ? La danse de l’araignée-robot sur la comète ne rappelle pas à Blaine l’étoile mystérieuse d’Hergé, mais la danse de Shiva linga et les cycles du carbone, du soleil, de la glace sur la comète. Cette glace contient du deutérium, son eau n’est donc pas terrestre. Et la chevelure de la comète est pleine d’oxygène moléculaire (O2). « Alors Tchouri est-il un être vivant ? / Un minéral qui respire ? / Tchouri es-tu ? ». On pense aux vers d’Apollinaire : « Nageurs morts suivrons-nous d’ahan / Ton cours vers d’autres nébuleuses » en lisant : « En 2061 je serai mort ou voyageant avec elle, sur elle, ensemble ».

       Clinton est un nom de cépage, dont le vin « transforme le buveur en animal farouche ». Hillary, si c’est elle, sera-t-elle buvable ? Fera-t-elle oublier le génocide amérindien, l’apartheid, Guantanamo, la CIA, les « artistes infantiles et pathétiques », les golden boys, les traders, et « ce monothéisme hystérique qui n’a d’égal que celui des fous d’en face » ? Blaine en appelle aux deux filles d’Hillary, la spirituelle, Huma Abedin, et la charnelle, Chelsea Victoria : « Huma et Victoria : / l’humanité victorieuse / l’humanité enfin hilare, sereine… » ? Si Barak élu « a oublié qu’il était noir », Hillary oubliera-t-elle qu’elle est femme ? Blaine souhaite qu’elle oublie plutôt qu’elle est à la tête d’ une « america éternelle : hégémonique, impérialiste et polluante  », qu’elle se souvienne du « peuple multicolore » des U.S.A., et qu’elle recrute les femen, les Pussy Riots : « Montre-nous ta poitrine nue, Hillary et chante contre les évangélistes ! ». Avec un clin d’œil de l’ânartiste Julien Blaine à l’âne démocrate…

       …et un clin d’oeil de chacun des trois éléphants interviewés par Julien Blaine, non à l’éléphant  républicain , mais à celui des théières qui, même rayées des bandes bleues du drapeau des States (photo) rendent hommage aux « "1336" jours de lutte » qui « donnent naissance à la marque des ex-Fralib ». Entre les lignes d’un texte raturé montrant l’entente secrète entre 11 multinationales, Blaine insère l’article L1235-11 du Code du Travail. Tant qu’il existe encore ! Et il nous sert quelques bimots : Anis / Aubépine, Ortie / Oranger, Pâquerettes / Persil, Prêle / Reine des prés…

       Après Hillary et ses filles, la reine d’Angleterre et ses princesses ! Les bourgeois de Calais décident (« c’est un conte ! ») de rendre la monnaie de leur pièce aux peuples colonisés à qui ils doivent une bonne part de leur fortune. « Et puisque les résidents de la jungle, rescapés de la vague, ou du feu, corps imbibé, crevé ou brûlé, veulent quitter la France, ce pays au gouvernement conservateur, xénophobe, et quasi totalitaire (filant à tout berzingue vers la première démocratie dictatoriale… !) pour l’Angleterre, les nouveaux bourgeois de Calais organisèrent leur voyage ». Et la reine, influencée par les princesses, organisa l’accueil. Les pires des contes sont bien ceux auxquels on ne croit pas une seconde. « Perdu ! », comme l’écrit Blaine revenant sur ses 10 ans, en cours moyen et dans les locaux de la C.N.T. avec René Bianco, leurs 20 ans et la fabrique du CRAPUL (Comité Révolutionnaire d’Action Par Un Langage), la trentaine avec journaux et radios libres, de Géranonymo à Radio K. « On ne peut se mettre en position de conseiller efficace ou pertinent alors qu’on a tout raté », écrit-il à Julien Coupat : « L’Insurrection qui vient, moi, je ne la verrai pas ». Il aurait pu dire : je la suis, verbe être et verbe suivre, dans le sens de la comète : « fin nominale de la mission de l’orbiteur Rosetta : je suis là et je suis / toujours / Être et suivre ». Ou dans le sens du Cogito : je doute, je suis (ou : de douter, je suis), non loin du « l’être n’existe pas (…) je suis (…) nom étymologique du néant » d’Artaud.

 

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